Stereotypes

Edited by Laurence Bouvard

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À force d’entendre la droite américaine répéter qu’elle était toujours la meilleure pour s’occuper d’économie, certains ont fini par le croire. Mais les faits sont têtus et les électeurs sceptiques.

Les places boursières américaines étaient à la hausse jeudi. Selon les analystes, cette bonne humeur des marchés n’était pas attribuable aux statistiques du jour sur l’emploi et les commandes manufacturières, qui étaient meilleures que ce qui était attendu. Non. Ce qui les réjouissait, paraît-il, était la bonne performance du candidat républicain à l’élection présidentielle américaine, Mitt Romney, au débat télévisé de la veille.

Le parti pris des milieux des affaires pour le camp républicain semble couler de source. La droite américaine n’est-elle pas la championne de la libre entreprise, du développement économique et de la gestion responsable des finances publiques ? Le camp démocrate ne s’attache-t-il pas surtout à défendre les grandes causes sociales, à redistribuer la richesse créée par d’autres et à essayer de faire contrepoids à la loi de la jungle des marchés ?

Wall Street est censé être fort en maths et ne se forger des opinions qu’après un examen froid et rationnel des faits. La banque d’investissement Barclays Capital a voulu l’aider en calculant l’évolution de la valeur des titres boursiers aux États-Unis depuis 1929, rapporte The Economist cette semaine. Or, cette valeur a crû en moyenne de 10,8 % par an durant les années où les Américains étaient dirigés par des présidents démocrates, et de seulement 2,7 % lorsqu’ils avaient « la chance » d’avoir un président républicain. Le résultat n’est pas tellement différent même si l’on exclut les quatre années noires du règne du républicain Herbert Hoover au début de cette période.

Peut-être, se demande The Economist, que Wall Street aime les républicains parce qu’ils servent mieux les plus riches ? Le problème est qu’une autre étude, allant cette fois de 1952 à 2004, a établi que les revenus après impôt des 20 % les plus riches ont aussi plus augmenté durant les années démocrates (+1,37 % de croissance réelle par année) que sous les présidents républicains (+0,92 %). La comparaison devient carrément gênante quand on se penche sur le sort des 20 % les plus pauvres, avec une hausse moyenne de revenus de 1,56 % par année sous les démocrates et une baisse de 0,32 % durant les années républicaines.

Chose amusante, ces tendances s’observent également au Canada. Ici aussi, on est porté à croire qu’un président issu du Parti républicain est économiquement préférable, de ce côté-ci de la frontière, en raison notamment de sa réputation de rigueur budgétaire et de parti pris pour le libre-échange. Mais on se trompe, encore une fois, soulignait dans Le Devoir samedi le spécialiste d’économie politique de l’Université de Montréal Pierre Martin. Depuis les années 50, la production manufacturière canadienne a connu une croissance annuelle moyenne de 5,7 % durant les années démocrates contre seulement 1,7 % durant les années républicaines.

La comparaison est encore plus saisissante lorsque l’on regarde les rendements de la Bourse de Toronto. Une somme de 1000 $, qui y aurait été investie en 1953 et qu’on n’aurait laissée fructifier que durant les 36 années de présidence républicaine, vaudrait aujourd’hui 2200 $. Les mêmes 1000 $, après un peu moins de 24 ans de présidence démocrate, vaudraient plus de 16 000 $!

De l’expert à l’électeur

Si ces faits historiques semblent échapper à nos acteurs rationnels du marché, ce n’est pas le cas pour tout le monde.

La revue The Economist (encore elle) a demandé, à un peu plus de 350 économistes américains réputés ce qu’ils pensaient des deux candidats en lice à l’élection présidentielle. Barack Obama y obtient une meilleure note que Mitt Romney pour huit des neuf enjeux économiques jugés importants. On ne reproche pas non plus au président sortant le mauvais état de l’économie américaine, reconnaissant volontiers qu’il est toujours plus difficile de se remettre d’une récession causée par une crise financière et que le pays continue d’être soumis à toutes sortes de chocs extérieurs, comme la crise européenne.

Mais, plus intéressant encore, la population aussi semble avoir une vision différente des marchés quant aux capacités respectives des deux grands partis en matière économique. Le plus récent sondage du Pew Research Center réalisé sur la question rapportait en juillet que 48 % des Américains estimaient que Barack Obama était le plus apte à améliorer les conditions économiques du pays contre 42 % pour Mitt Romney, soit exactement à l’inverse du mois précédent.

Ce score était de 53 % pour Barack Obama et 32 % pour le républicain John McCain à la veille des élections de 2008 ; de 47 % pour le démocrate John Kerry et 40 % pour le républicain George Bush en 2004 ; de 49 % pour le démocrate Al Gore et 37 % pour George Bush en 2000, de 49 % pour le démocrate Bill Clinton et 35 % pour le républicain Bob Dole en 1996 ; et encore et toujours de 41 % pour le démocrate Bill Clinton et seulement 26 % pour le républicain George Bush père lors de ces fameuses élections de 1992.

Comme quoi il n’y a pas que la compétence économique qui décide du résultat d’une élection, et cette image de compétence n’est souvent pas là où l’on croit.

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