American Women Are Coming out of Their Binders

 Edited by Tom Proctor

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C’est peu dire que les femmes ont dû souffrir en écoutant le débat présidentiel mardi soir. Entendre ces deux hommes disserter sur le droit à l’avortement ou l’égalité salariale créait un sentiment de malaise comme s’ils étaient les symptômes de la maladie sexiste qu’ils décrivaient et dénonçaient l’un et l’autre. Une fois n’est pas coutume, la palme revint à Mitt Romney. Avec une candeur absolue, il a raconté avoir été choqué par le manque de candidatures féminines lors de la composition de son cabinet de gouverneur du Massachusetts, en 2002. «Je suis allé voir un certain nombre d’associations, de groupes de femmes pour leur demander de l’aide. Et elles nous ont apporté des classeurs entiers pleins de femmes», a-t-il déclaré, faisant un raccourci malheureux. La blogosphère s’est déchaînée sur la gaffe de Romney (Binders full of women), alimentant les caricatures plus ou moins drôles, comme celle montrant le toujours lubrique Bill Clinton partir à la recherche du fameux classeur sous le regard affligé de Barack Obama.

Plus attristant encore, les débats donnaient une impression désagréable de déjà-vu puisque dans les années 1970 le débat sur l’avortement et l’égalité salariale étaient les deux grandes revendications des femmes américaines. Dans la lignée des mouvements d’émancipation, les féministes luttèrent pour obtenir le droit de disposer de leur corps et la reconnaissance d’une égalité sur le lieu de travail. Si les hommes ne leur facilitèrent pas la tâche, elles durent affronter l’hostilité des femmes conservatrices dont la porte-drapeau se nommait Phyllis Schlafly.

Phyllis Schlafly (1970)

Après la décision de la Cour suprême, Roe v. Wade (1973), accordant aux femmes le droit d’avorter, le combat se porta sur un amendement défendu par les organisations féministes inscrivant dans la Constitution l’égalité salariale (Equal Rights Amendment – ERA). A l’aide d’une floppée d’arguments naturalistes, Schlafly mena alors sa plus grande campagne, en expliquant les multiples dangers d’une telle mesure.

Autocollant contre l’amendement ERA (1977)

Selon une stratégie bien rôdée chez les conservateurs, elle déplaça le débat du terrain social et économique vers le culturel, expliquant que l’amendement allait supprimer les différences entre hommes et femmes. Les femmes deviendraient donc des hommes comme les autres, assujetties aux mêmes devoirs comme le service militaire. Pire encore, la formulation ambiguë reconnaissant l’égalité des sexes (et pas seulement des femmes, expliqua Schlafly) ouvrait la porte au droit des homosexuels. En 1977, l’amendement ne fut pas approuvé par suffisamment d’Etats (35 sur les 38 nécessaires) pour faire son entrée dans la Constitution. Et par sa victoire, Schlafly annonça le raz-de-marée conservateur à venir et la victoire de Ronald Reagan en 1980.

Trente ans plus tard, l’égalité salariale est encore débattue au cours d’une élection présidentielle. Plus encore, quarante ans après Roe v. Wade (1973), l’avortement fait toujours l’objet de débats entre les deux candidats démontrant que cet arrêt n’est pas considéré comme légitime par une partie de la population. Au regard de ce triste panorama, il ne fait aucun doute qu’il faudra plus que des noms de femmes dans un classeur pour permettre une réelle égalité entre les sexes.

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