Edited by Jonathan Douglas
Les deux rêves américains
L’antiaméricanisme est une maladie française. Comme la grippe, elle se propage à l’automne, mais tous les quatre ans seulement, à la l’occasion de l’élection présidentielle américaine.
Comme chaque fois, c’est un déluge de contre-vérités et d’approximations qui nous tombe dessus, imputable à une inculture encyclopédique ou à une fascination-répulsion autant qu’à l’idéologie bêtassonne distillée aux Français dès les bancs de l’école primaire. Elle continue de faire des ravages longtemps après.
Notre ami Jean-François Revel a tout dit en son temps (1) sur ce que l’historien Jacques Julliard a appelé la maladie sénile (ou infantile) du socialisme. Une vision caricaturale de l’Amérique qui semble s’être construite à base de BD, de téléfilms hollywoodiens et de vieux prospectus marxistes.
Il y a quatre ans, nos chers médias, vaticinant sur des schémas dépassés, nous expliquaient en choeur que l’Amérique était bien trop raciste pour élire un président métis. On connaît la suite.
Cette année, à quelques exceptions méritoires près, Mitt Romney, le candidat républicain, est présenté par beaucoup de nos confrères comme un néofasciste qui veut ramener l’Amérique à l’âge de la pierre social et sociétal. Nos bien-pensants en ont la chair de poule. Plaignons-les.
S’ils avaient travaillé leur dossier, ils sauraient, les comiques, que Mitt Romney a conçu, dans l’État du Massachusetts, dont il fut gouverneur quatre ans durant, un système de santé très proche de celui que Barack Obama est en train de mettre en place au niveau fédéral, sous les cris d’orfraie des républicains.
Sans doute Romney fait-il figure de lapin perdu au milieu du poulailler républicain, peuplé apparemment surtout, depuis quelques années, d’oies, de dindes et de petits coqs paranoïaques, sur fond de déchaînements populistes. Tels sont les effets du Tea Party, qui est au Parti républicain ce que la gauche extrême est au PS. Un ramas de braillards absurdes, que la crise a rendus hystériques et qui entrent dans le futur en marche arrière.
Romney n’a certes pas négligé de chercher à récupérer les ultras de son camp. Mais c’est un modéré de centre droit qui incarne, comme Obama, un versant du rêve américain, certes le moins romantique. La réussite sociale. L’enrichissement à la Guizot. Le mythe rousseauiste consistant à croire que, l’homme étant intrinsèquement bon, le libéralisme l’est aussi. Avec son air d’acteur de série B jouant le rôle de président, il a retrouvé, ces dernières semaines, un peu de la magie Reagan des années 80.
Obama, c’est l’autre versant du rêve américain. L’extraordinaire histoire du “hors venu” à qui les États-Unis ont ouvert la porte de l’ascenseur social, direction les étages supérieurs. La preuve vivante que l’immigration peut être un accélérateur de destins. Le sens rooseveltien de la solidarité. La méritocratie conquérante. Le conte de fées qui deviendra un jour un blockbuster sur grand écran. Appuyé sur une coalition ethnique à vocation majoritaire avec les Latinos, le président sortant est aussi pourvu d’un charisme très au-dessus de la moyenne, à peine gâté par son arrogance et sa confiance en soi, deux traits de caractère que le peuple américain, adepte de l’autodérision, n’a jamais prisés.
Ces deux rêves, qu’Obama et Romney célèbrent chacun jusqu’à l’extrême, semblent parfois tourner au cauchemar, de nos jours, sous l’effet des dernières tourmentes économiques. Mais la campagne aura montré qu’ils sont encore bien vivaces. L’optimisme est la plus vieille tradition américaine, que quatre cents ans d’Histoire, de bruit et de fureur n’auront jamais ébranlée, prouvant que l’Amérique a toujours du ressort.
Des années après notre Vieux Continent, le Nouveau Monde est en train de descendre à son tour la pente du déclin. Quand on interroge les Américains sur la situation économique de leur pays, ils sont convaincus que la Chine l’a relégué au deuxième rang. Elle est devenue leur obsession : ils ont le sentiment de vivre un lent déclassement.
Dans un livre passionnant, La Chine contre les États-Unis (2), Alain Frachon et Daniel Vernet annoncent que le choc entre les deux Empires est devenu inévitable. Selon eux, la nouvelle bataille du Pacifique est pour bientôt : un océan pour deux, ça ne marche pas. La Chine veut y trouver sa place et l’Amérique, la garder. L’Europe comptera les points, elle commence à avoir l’habitude.
Une élection présidentielle, c’est souvent une psychanalyse collective. Celle-là, malgré les fausses accolades et les sourires de circonstance, aura montré que l’Amérique est désormais saisie d’un mélange de vertige et de nostalgie. Alors qu’elle se redresse au milieu des décombres laissés par le séisme des subprimes, elle ne peut s’empêcher de se dire, pour la première fois de son Histoire, en se regardant dans le miroir de la campagne : “Nous autres civilisations,nous savons maintenant que nous sommes mortelles” (Paul Valéry).
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.