Republicans Separated by an Ocean

Edited by Heather Martin

<--

Si l’on joue à demander ce que les Français comprennent le moins, on peut avoir l’embarras du choix. Pour ma part, au vu des commentaires que suscite le duel Obama-Romney, j’ai bien l’impression que la bonne réponse pourrait être : ce que signifie « républicain » aux Etats-Unis. Cette réalité américaine semble entrer difficilement dans nos têtes hexagonales. Pour preuve, les flots de malentendus et de préjugés qui, de toutes parts, orientent, ou plutôt désorientent, les jugements.

Ce qui est mis en avant : un républicain presque toujours demeuré, gaffeur, abruti, ignorant -en oubliant que dans la mouvance républicaine figurent de vraies têtes pensantes, dont on doit reconnaître l’importance, qu’on soit d’accord ou non avec leurs analyses. Par exemple : le libertarien Robert Nozick (1938-2002), les néoconservateurs Irving Kristol (1920-2009) ou Norman Podhoretz. Le républicain standard est également supposé raciste et misogyne, même si le parti fut fondé en 1854 contre le maintien de l’esclavage et que le premier président républicain fut… Abraham Lincoln. Certes, aujourd’hui, le camp républicain, traversé de courants multiples -allant des droites religieuses aux centristes -, demeure plus conservateur que celui des démocrates et toujours plus proche des milieux d’affaires que des syndicats.

Toutefois, se contenter de dépeindre le républicain type seulement comme un électeur mâle, blanc, fortuné, obscurantiste et bigot, c’est s’interdire de comprendre bien des aspects de l’histoire. Car les républicains ont largement dominé la vie politique américaine depuis 1968, en remportant 7 des 11 scrutins présidentiels, en contrôlant longuement le Congrès et à présent la Chambre des représentants. L’oubli de cette réalité massive produit d’étranges distorsions : George Bush paraissait tellement honni qu’on ne pouvait comprendre qu’il fût réélu, Obama semble tellement sympathique qu’on ne peut admettre que sa réélection demeure incertaine.

Ces illusions d’optique sont d’autant plus curieuses qu’elles frappent des Français qui, unanimement, se qualifient eux-mêmes de… « républicains », se réclament des idéaux « républicains » et des valeurs « républicaines ». Faudrait-il donc, sous le même mot, parler d’une vérité républicaine en deçà de l’Atlantique et d’une erreur au-delà ? Il semble bien que ce soit le cas. En effet, à partir d’une première signification commune -la préoccupation de la « res publica », la « chose publique », les affaires collectives, par opposition aux affaires privées -, le mot renvoie effectivement, de chaque côté de l’Océan, à des conceptions opposées.

Ainsi, une conception républicaine « à la française » ne met pas seulement l’accent sur la laïcité, la liberté, l’égalité et la fraternité. Elle place sous l’autorité de l’Etat la garantie des droits individuels des citoyens. Avec plus d’Etat, on aura plus de protection des individus. La conception des républicains « à l’américaine », elle, joue exactement à l’inverse : l’Etat fédéral protège les frontières, mais, moins il intervient dans la vie des citoyens, mieux leurs droits sont préservés. D’une vision « républicaine » à l’autre, ce qui change du tout au tout, ce sont donc nos relations d’individus au pouvoir central.

Cela a de profondes conséquences sur les façons d’envisager la politique, le bien commun, l’argent. Mais aussi l’entreprise, la réussite personnelle, les relations du travail et du loisir, sans oublier la protection sociale et les relations internationales. Entre autres… En fait, les manières de voir se révèlent si dissemblables qu’il semble presque inévitable que nous, Français, dans l’ensemble, nous nous égarions quelque peu. Il suffit, pour le confirmer, de faire l’expérience inverse : s’immerger quelque temps dans les perspectives des républicains américains. Dès lors qu’on en saisit les significations majeures et la logique interne, il y a forcément quelque chose qu’on ne comprendra plus très bien. Les Frenchies, évidemment.

About this publication