.
Posted on November 21, 2012.
La “falaise budgétaire” mondiale
C’est le vote américain qui va tout changer, même s’il a fait moins de bruit que l’élection d’Obama : le 6 novembre, les électeurs californiens ont approuvé la “Proposition 30”, qui augmente fortement les impôts pour les ménages aisés et riches. Une révolution, dans une Californie réfractaire à l’intervention publique. Si les citoyens du Golden State ont renié leur culture, c’est que leur État est pris dans les difficultés budgétaires, surendetté, incapable d’honorer ses échéances financières autrement que par des reconnaissances de dettes. La Californie est la métaphore – et la caricature – du monde développé – États-Unis, Europe, Japon, tous trois éprouvés par la crise économique, l’intempérance budgétaire et l’addiction à l’endettement.
Ce référendum est comme le double inversé d’une autre consultation fameuse, organisée au même endroit, il y a trente-quatre ans, qui avait déclenché la révolution libérale aux États-Unis. En 1978, les Californiens adoptaient la “Proposition 13”, limitant au contraire les prélèvements fiscaux et exaltant la propriété individuelle inaliénable. Milton Friedman, Prix Nobel d’économie et théoricien du laisser-faire, était alors venu faire campagne en expliquant les vertus de la baisse des impôts… Deux ans plus tard, Ronald Reagan était élu à la présidence des États-Unis et appliquait les principes californiens à l’échelle du pays, baissant fortement les prélèvements et creusant le déficit. Peu à peu, la quasi-totalité des pays de la planète suivirent ses traces. Même les socialistes français du milieu des années 80, sans baisser les impôts, déréglementèrent les marchés financiers pour endetter plus facilement l’État. C’est dire la puissance de l’onde libérale, qui finit par atteindre les régions de la planète les plus réfractaires.
Le libéralisme sans limite est donc mort à l’endroit même où il est né il y a plus de trente ans – avec un vote de la Californie. D’une “proposition” à l’autre, le monde a expérimenté ce système, profité de ses bienfaits et souffert de ses ravages, les uns et les autres bien réels. Comme toujours, le libéralisme a fini par être détourné par ses rentiers – ceux de la finance, en particulier -, qui l’ont dénaturé et caricaturé. Comme toujours, il a débouché sur un excès d’endettement qu’il faut maintenant résorber. Et comme toujours, le krach des valeurs financières et morales va déboucher sur un nouveau cycle idéologique.
Ce cycle va nous emmener aux antipodes du libéralisme, probablement bien plus loin que nous ne l’imaginons aujourd’hui : plus d’impôt, plus de règles, moins de liberté, moins de dette. Voilà le programme pour les années qui viennent. Nul doute que Barack Obama n’augmente lourdement les prélèvements, en particulier sur les contribuables les plus aisés, pour éviter la “falaise budgétaire” qui menace les finances publiques fédérales. Comme Reagan il y a trente ans, il suivra l’esprit des temps, mais avec une idéologie diamétralement opposée. Le mouvement a toutes chances d’être planétaire, à tout le moins commun aux pays occidentaux, la “falaise budgétaire” les menaçant tous à des degrés divers. Contribuables de tous les pays, numérotez vos abattis ! Sous cet angle au moins, la France de François Hollande est à la pointe de la modernité. Et peut-être sera-t-elle même à la mode.
Coupes budgétaires et hausses d’impôts aux États-Unis pour éviter la “falaise”, plans de rigueur en Europe, fussent-ils absurdes à force d’être excessifs, c’est le même réapprentissage des limites auquel s’essaie l’Occident, après trois décennies de licence et d’innovations financières qui n’avaient pour objet que de repousser les bornes du crédit. La crise, tant aux États-Unis qu’en Europe, n’était jamais qu’un coup frappé au carreau par le bon sens, longtemps ignoré, qui sonne l’heure des comptes. Après une période de déni, nous voici reconduits devant l’équation première, celle qui nous avait fait fuir dans la dette il y a trente ans : la croissance dans nos pays est moins forte qu’avant la rupture du milieu des années 70. Le déficit n’a pas résolu ce problème, il n’a fait que le masquer temporairement. Et c’est là-dessus qu’il nous faut travailler désormais. La renaissance de l’Occident est à ce prix.
Leave a Reply
You must be logged in to post a comment.