Ce que nous devons apprendre de l’Amérique
L’ouragan Sandy a montré l’élan de solidarité dont les Américains, par-delà leurs clivages politiques, sont capables. Une leçon pour une Europe divisée, dont les pays, repliés sur leurs intérêts nationaux, se montrent incapables de trouver des solutions communes et durables face à la crise.
Spirit of America » : tel est le nom du ferry pour Staten Island, où l’ouragan Sandy a fait des ravages quinze jours plus tôt. Le spectacle, sur place, est terrifiant. Des toits et des maisons envolés ou engloutis. Des quartiers entiers détruits. Autour de New York, des centaines de milliers de personnes sont toujours sans eau ni électricité. La tempête a fait 120 morts. Les dégâts sont estimés à 50 milliards de dollars. Pour le moment.
A Staten Island, comme à Rockaways, Coney Island, Red Hook, des centaines de volontaires s’activent. Ils sont venus en famille apporter de la nourriture, des couvertures ou des moyens de transport pour ceux qui ne peuvent plus habiter leurs maisons dévastées. Les Américains mettent de côté les divisions et les rancoeurs, pourtant vives dans ce pays aux multiples fractures politiques, ethniques et sociales, après la réélection poussive de Barack Obama. Ainsi du mouvement Occupy Wall Street, qui met son combat entre parenthèses, pour lancer Occupy Sandy, organisant l’entraide sur les sites les plus dévastés de la région.
« Spirit of America. » Face à la crise depuis quatre ans, comme face à cet ouragan, les Américains s’unissent, et refusent de subir. A la guerre comme à la guerre : quand l’enjeu est la survie, on ne mégote pas sur les moyens à employer. S’il faut 30 milliards de dollars pour réparer les dégâts de Sandy, comme le réclame le gouverneur de l’Etat de New York, Mario Cuomo, on imprimera 30 milliards de dollars supplémentaires à la Fed. Tant pis si la dette, qui s’accroît chaque année de plus de 1.000 milliards de dollars de déficits (1.300 milliards en 2011), atteindra bientôt 100 % du PIB. L’urgence est ailleurs : elle est dans la lutte contre le chômage.
Il y a trois ans, l’économie américaine détruisait des emplois par centaines de milliers tous les mois. Ces dix derniers mois, elle en a créé 1,6 million. En 2013, ce sera probablement davantage, grâce à une baisse annoncée des impôts sur les sociétés et aux investissements dans la recherche et l’exploration de pétrole et de gaz de schiste, qui vont donner à l’Amérique une indépendance et une compétitivité énergétiques déterminantes. Le récent rapport de l’Agence internationale de l’énergie estime même que l’Amérique produira plus de pétrole que l’Arabie Saoudite dès 2020.
Et nous, les Français et les Européens, que faisons-nous en ce moment pour affronter les crises passées et à venir ? Nous choisissons le chemin inverse de l’Amérique, dans à peu près tous les domaines : la désunion, entre les pays et à l’intérieur de chaque pays ; la hausse des impôts pour les entreprises, surtout si elles ont le mauvais goût d’être de grandes entreprises, et de continuer de garder leurs sièges sociaux en France. Le gaz de schiste ? La France applique le principe de précaution, version hard : surtout, ne rien entreprendre qui risquerait de créer des dizaines de milliers d’emplois, de nous donner un leadership dans les technologies propres d’extraction, et de baisser la facture énergétique des ménages comme des entreprises.
Créer de la monnaie pour financer une politique de grands travaux paneuropéens, pour faire baisser la valeur de l’euro, relancer nos exportations et atténuer les effets mortels d’une implacable rigueur budgétaire ? Les gouverneurs de la BCE, avec l’assentiment d’une technocratie européenne déconnectée du réel, très éloignée du quotidien des 25 millions de chômeurs européens, préfèrent le formol de leurs positions théologiques en la matière : le principe de précaution, là aussi, triomphe au détriment du principe de réalité. Et au détriment des peuples comme des entreprises.
Retrousser ses manches, s’unir face à l’adversité, trouver des solutions communes aux différents pays, comme aux différentes catégories économiques et sociales ? On préfère faire grève. Refuser l’obstacle comme le changement. Ou se préoccuper de son agenda strictement national, voire départemental.
Mais, avec une crise économique qui sera longue et profonde, un vent mauvais se lève aujourd’hui, qui menace d’emporter bien plus que des maisons : la montée des nationalismes et des tribalismes d’est en ouest, du nord au sud. L’esprit de clocher comme l’esprit de minaret. Le repli sur soi, bien à l’abri derrière ses frontières, celles de son pays ou de son quartier.
Si cette chronique désormais hebdomadaire a un objectif, c’est le suivant : ouvrir des fenêtres sur un monde en mouvement ; promouvoir l’unité européenne et les dynamiques économiques et sociales, alors même que les économies et les sociétés européennes se bloquent dangereusement, et se replient sur elles-mêmes.
Pour y parvenir, l’auteur promet d’être fidèle à au moins un principe – le principe d’imprécaution – et à un état d’esprit – l’esprit d’entreprise -, à défaut du « spirit of America ». A mercredi prochain.
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