Love and the CIA

<--

Love and the CIA

Je me doutais que l’on allait encore fustiger le « puritanisme américain »,  mais la nouvelle l’affaire qui chamboule la direction de la CIA démontre plutôt, à mon sens, la maturité et le sens de la mesure de l’opinion publique. David Petraeus, patron de l’agence depuis 18 mois vient certes de démissionner après qu’a été révélée en révélant lui-même  sa liaison avec sa (somptueuse) biographe, Paula Broadwell, ancienne élève de l’académie militaire de West Point et de la Kennedy School de Harvard, spécialiste du contre-terrorisme, écrivain et journaliste.

A première vue, personne n’a officiellement demandé à Petraeus, l’un des meilleurs cadres de l’armée, le cerveau de la stratégie anti insurrectionnelle américaine avant son embauche à Langley, de donner sa démission en raison de son infidélité. L’ensemble des médias, et des observateurs officiels admet que dans n’importe qu’elle autre fonction au gouvernement, cette histoire ne lui aurait pas coûté son poste. (voir les propos de l’éditorialiste Frank Rich dans New York Magazine)

Pour peu que l’on puisse en juger sur les forums internet et dans les courriers des lecteurs, le public est en majorité consterné de perdre un dirigeant de ce niveau, unanimement apprécié par la classe politique, pour une incartade personnelle. Barack Obama a même temporisé pendant 24 heures avant de se décider à accepter la démission d’un de ses collaborateurs les plus compétents.

Nuance, tout de même, pour un patron d’agence de renseignement. Dans la même situation, ses subordonnés à la CIA auraient écopé de sanctions graves, voire d’un licenciement immédiat pour s’être exposés à un éventuel chantage.

Surtout, le déballage éventuel des détails du vaudeville, déjà en une des tabloïds new yorkais, aurait vite rendu son travail impossible, et ridiculisé les services de renseignement.

L’affaire a éclaté lorsque Paula Broadwell, semble t-il plaquée cet été par Petraeus, a soupçonné son ancien amant d’avoir commencé une liaison avec une de ses collaboratrices du commandement inter-armée, amie de longue date du général. Les emails anonymes furibonds de Broadwell à la dénommée Jill Kelley ont été notifiés par cette dernière à un ami travaillant au FBI.

Les policiers fédéraux en ont trouvé facilement l’origine, découvrant alors de nombreux messages explicites provenant d’un ordinateur appartenant à David Petraeus. Interrogée fin octobre, la jolie biographe, mariée et mère de deux enfants, a confirmé sa liaison, et a elle-même autorisé la police à fouiller son ordinateur.

Il contenait des documents « classifiés ». Mais de quel niveau de secret ? Lui avaient-ils été fournis par Petraeus ? Ou constituaient-ils la documentation normale nécessaire à son travail de recherche universitaire ? N’oublions pas que Broadwell avait travaillé pendant plusieurs années dans les services de renseignement de l’armée et officié comme consultante pour la direction anti terroriste. Son statut l’autorisait sans doute à accéder à des rapports d’un niveau de confidentialité moyen, mais interdits aux médias et au grand public.

A première vue, le FBI a conclu que cette affaire personnelle n’avait pas entrainé de violation du « confidentiel défense » et a classé le dossier sur ce point.

Restent des zones d’ombres. Pourquoi Petraeus a-t-il lui-même présenté sa démission ? Le FBI, n’ayant rien à reprocher au patron de la CIA, entendait garder le secret sur sa vie personnelle et n’était pas tenu d’en informer le Congrès, mais il avait du en référer au Secrétaire à la Justice. S’apprêtait-il néanmoins à poursuivre Paula Broadwell pour le harcèlement et les menaces contenus dans ses courriels anonymes, au risque d’alerter les médias?

Autre complication : l’agent du FBI initialement chargé de l’enquête, l’ami de Jill Kelley, a cru que ses supérieurs enterraient le dossier hâtivement et s’est plaint directement, le 31 octobre, à… Eric Cantor, chef de la majorité républicaine à la Chambre des Représentants, qui l’a renvoyé à ses supérieurs hiérarchiques. Des fuites à caractère politique étaient-elles imminentes ?

Le calendrier de l’affaire aussi provoque des interrogations. Les Républicains ont beau jeu de hurler à la manipulation en insinuant que l’éviction de Petraeus l’empêche de répondre aux questions du Congrès sur les possibles failles du renseignement avant l’attaque du consulat de Benghazi en Libye, qui a provoqué la mort de l’ambassadeur américain et de trois agents de sécurité ; des accusations ressassées en vain pendant les dernières semaines de la campagne présidentielle.  Nous verrons bientôt si les élus du Congrès s’emparent du scandale, ou montrent autant de décence que l’opinion américaine.

About this publication