America Sick of its Welfare State

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L’Amérique malade de son Etat Providence

La falaise fiscale ne sera peut-être qu’une colline, mais les négociations entre républicains et démocrates n’auront qu’à peine effleuré le problème numéro un des Etats-Unis : le financement de la santé. Présenté à juste titre comme le principal enjeu fiscal des prochaines années, le dérapage des coûts médicaux touche aussi le secteur privé.

La dépense totale de santé représente 17 % du PIB. 49 % relèvent de financements publics (Medicare, Medicaid, Children Health Insurance Program), 51 % du privé (essentiellement les assurances privées et le porte-monnaie des personnes non couvertes).

Lorsqu’on parle de santé publique, on fait le plus souvent référence à Medicare (destiné aux personnes âgées), car c’est le seul programme exclusivement fédéral (les autres sont pris en charge par les Etats, même s’ils dépendent de plus en plus de transferts depuis Washington).

Aux Etats-Unis la santé fait partie des dépenses publiques obligatoires. C’est un droit (entitlement) auquel il est très difficile de s’attaquer sans s’attirer les foudres des praticiens, des démocrates, mais aussi des membres du Tea Party. Pourtant, son coût augmente à un rythme de 2 % supérieur à celui du PIB. Qu’on l’explique par le vieillissement de la population, l’évolution des technologies, les mauvaises pratiques, l’excès de consultations, ce rythme est intenable.

Pour ces raisons, la part de la santé dans les dépenses publiques va considérablement augmenter dans les prochaines années : les dépenses fédérales de santé (Medicare + co-financement de CHIP et Medicaid) représentent aujourd’hui un peu moins de 5,5 % du PIB. Elles devraient atteindre 7,5 % à horizon 2025.

La hausse du coût de la santé pose un énorme problème pour les finances publiques. La mise en place d’un Etat Providence aux Etats-Unis s’est faite dans un contexte un peu schizophrène où les démocrates (Roosevelt, Johnson) ont refusé de lier les prestations publiques sociales (vieillesse, maladie, chômage) aux hausses d’impôts.

Pour Molly Michelmore “les politiques ont combiné une ambivalence marquée à l’égard de l’Etat Providence et une vive défense des droits individuels des contribuables”. C’est la raison pour laquelle – comme on a pu l’observer en Europe – les programmes sociaux ont été financés par une taxation indirecte sur les salaires (payroll tax) présentée comme une prime d’assurance plutôt qu’un transfert public.

L’impôt était en outre “régressif”, dans la mesure où, passé un certain seuil (voir graphique ci-dessus qui inclut également le financement de la retraite – programme dit OASDI), le salaire n’était plus taxé.

Pour Meyer et Anderson, “seuls ceux qui ont des revenus très faibles payent la taxe sur la totalité de leur salaire. En outre, ceux qui ont déjà payé des impôts jusqu’à l’assiette salariale imposable avec un employeur pour une année civile doivent payer à nouveau s’ils changent d’entreprise ou s’ils cumulent des emplois. Ainsi, ceux qui ont perdu leur emploi au cours de l’année ou accumulent des heures supplémentaires au titre d’un deuxième emploi sont susceptibles de payer cet impôt sur une fraction plus élevée de leur revenu.”

A cela s’ajoute enfin le creusement des inégalités : le seuil de revenu taxable n’a pas augmenté de façon proportionnelle à la masse salariale en raison de l’écart grandissant entre hautes et basses rémunérations. Un sérieux problème pour la soutenabilité financière de long terme du régime, qui pourrait passer par une hausse des taxes.

Ce n’est pas tout : non seulement ce mode de financement pèse sur les entreprises mais les primes d’assurance privée s’envolent. La protection des actifs est en effet financée par les entreprises et les déductions fiscales – tax expenditures – associées. Seuls les travailleurs indépendants paient leur prime en direct – à un prix souvent prohibitif, ce qui explique pourquoi plus de 40 millions d’Américains ne sont actuellement pas couverts : l’Obamacare a été conçu pour diminuer ce chiffre.

Considérée comme partie intégrante de la rémunération des employés (les “compensations”, qui intègrent le salaire et les contributions sociales publiques et privées), la hausse des primes d’assurance privée a pour conséquence soit de peser sur les coûts des entreprises, soit de compresser les salaires des ménages. Malheureusement, dans un environnement concurrentiel et dans un secteur comme les services où les gains de productivité sont limités, c’est la deuxième option qui a été retenue.

Comme on l’observe plus haut, la contribution des employeurs aux assurances santé privées représente un pourcentage de plus en plus important de la rémunération. Comme celle-ci a récemment touché son plus bas historique – en part du PIB -, c’est dire le sort qui a été réservé aux salaires.

En encore, le graphique masque une autre réalité : l’augmentation du nombre d’employeurs qui ne prennent pas (ou seulement partiellement) en charge la couverture santé. Qu’ils se soient affranchis de la fourniture de certains benefits permet peut-être de contenir le coût salarial (désormais de 10 dollars inférieur à celui de la France et de l’Allemagne selon l’OCDE) mais ampute d’autant le pouvoir d’achat hors santé des ménages.

L’Amérique vieillit et cela coûte cher. Même si le plan Obama permet désormais d’offrir une couverture universelle (tout en “oubliant” d’offrir, par exemple une assurance santé publique parmi les options proposées aux ménages), le volet qui concerne le contrôle des dépenses et la maîtrise des coûts reste particulièrement flou.

Non seulement ce flou grève les finances publiques, mais il pèse également sur les entreprises. Avec pour conséquence, nous le répétons, d’accroître la pression sur les salaires américains.

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