Quoi ? Deux semaines d’attente pour pouvoir acheter un semi-automatique AR-45 ? De quel amendement se moque-t-on ? Au dernier gun show de l’année, ce 30 décembre à Denver, les clients se bousculent devant les entrées. La foire aux armes se déroule à 20 km du cinéma Century d’Aurora où a eu lieu l’une des fusillades les plus meurtrières de 2012 (12 morts, en juillet, à l’occasion de la première de Batman) mais on se croirait à des années lumière. Fusils sur les tables, fusils sur le parking, pistolets, revolvers. De toutes les couleurs, de toutes les formes, des armes partout. Et il faut le reconnaître, passé le premier moment d’effroi, on s’habitue.
Dans cette partie de l’Amérique, rien de plus banal que le gun show. En cette veille de réveillon, l’ambiance est familiale. Les plus petits sont juchés sur les épaules de leur père. Les ados ont une table rien que pour eux où trône “mon premier fusil” : flambant rose pour les filles.
Le Tanner Gun show est l’une des plus grandes foires de la région : 700 étals bourrés d’armes à feu, de couteaux (en solde, dépêchez-vous, c’est dimanche), de gilets pare-balles, de blousons à poches où glisser les armes cachées que la loi de l’Etat donne le droit de porter partout – sauf dans les écoles et dans les lieux publics (une erreur, comme chacun sait. La preuve : les tueurs visent particulièrement les établissements scolaires sachant que personne n’y est légalement armé).
Une tenancière de saloon, pardon, de stand, essaie de vendre à une famille latino une torche qui envoie des décharges électriques. “11 000 volts ! vante-t-elle, et seulement 70 dollars”. Son compagnon, une armoire à glace vêtue de cuir, appuie : “Elle l’a essayée sur moi. Je criais comme un enfant de quatre ans” ! Les clients défient les clichés, comme cette jeune femme de 27 ans, à piercings et pantalon baggy. Noire, et bien décidée à acheter un pistolet. Menacée ? Pas le moins du monde. Mais déterminée à “défendre sa famille” au cas où elle le serait…
Tom F., 36 ans, se balade dans les allées avec un fusil dans le dos et une pancarte accrochée au canon. “A vendre : AR-15 Sig Sauer”. En 2008, il l’a acheté 800 dollars. Aujourd’hui, il en demande 2000. Vente de particulier à particulier : aucun papier n’est nécessaire. Depuis que 20 enfants ont été tués en décembre à l’école primaire de Newtown, dans le Connecticut, le marché s’est emballé. “C’est de la folie”, dit-il. Les clients veulent des semi-automatiques, et le même, tant qu’à faire, que le Bushmaster qui a servi à la fusillade. Non que ce soit la Rolls des armes à feu. “C’est juste parce que quelqu’un veut vous l’interdire”. Combien d’armes possède-t-il lui-même ? “Oh, une trentaine”, répond-il sans sourciller. Des fusils de différents calibres, “quelques pistolets”, des fusils à pompe.. Vous ne voudriez quand même pas viser un cerf avec le même calibre qu’un coyote ?
Mi-décembre, Barack Obama a annoncé la création d’une commission nationale de réflexion sur la violence et les armes à feu, présidée par le vice-président Joe Biden. Elle doit rendre ses conclusions avant la fin janvier. Mais on peut compter sur les républicains pour freiner des quatre fers. La priorité législative, disent-ils, c’est la réduction du déficit et les mesures d’austérité.
Pendant ce temps-là, dans les gun shows, on s’empiffre, comme après chaque shooting. En décembre, 53 450 demandes d’autorisation d’achat ont été présentées au FBI dans le Colorado. Soit une augmentation de 50% par rapport à octobre. Il en va de même au niveau national : 2,8 millions de demandes en décembre contre 1,6 million en octobre. Avant, le background check (la vérification des éventuels antécédents criminels ou psychiatriques de l’acheteur) prenait une demi-heure à Denver. Il faut maintenant plus de deux semaines.
Devant le stand de FAST, l’une des associations qui proposent une formation accélérée (une demi-journée) pour obtenir le port d’armes, l’instructeur fait l’article de ses stages. Pas besoin de s’acheter de pistolet, on peut louer. Et il y a des journées “ladies only”. “On s’amuse bien, dit-il. Après Halloween, on fait des concours de tirs sur les citrouilles”. L’homme offre des T-shirts marqués de la citation de Wayne LaPierre, de la National Rifle Association (NRA), le lobby des armes : “La seule chose qui peut arrêter un malfaiteur avec une arme, c’est un homme bon avec une arme”. Une logique imparable, universellement partagée dans les gun shows. Interdire les armes après une fusillade, proclame une pancarte, c’est comme dire : “A bas les cuillères. Elles me rendent obèse”…
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