Barack Obama's Sarajevo Moment

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Le moment Sarajevo de Barack Obama

Barack Obama a été à la fois le président le plus attendu et le moins bien préparé dans l’histoire récente des Etats-Unis. À attentes démesurées déceptions assurées. À l’étranger plus encore qu’aux Etats-Unis, Obama reste aimé pour ce qu’il est, et en dépit, parfois, de ce qu’il fait : un “président européen” en Europe où 75 % des citoyens auraient voté pour lui ; mais aussi “le premier président du monde” puisque le seul à avoir des racines en Asie et le premier à se vanter de ses ancêtres africains. Source de confusion, car un vote pour Obama et l’image qu’il incarne sont en réalité un vote pour l’Amérique et l’image qu’elle représente.

Ce n’est pas rien, mais même en tenant compte de cette distinction, ce n’est pas suffisant. Au fond, Obama a péché par timidité : il a bien dit ce qu’il voulait faire – Yes, I can – mais il n’a pas bien fait ce qu’il avait dit – Yes, I must.

De son propre aveu, Barack Obama n’a pas pour l’Europe le je-ne-sais-quoi qui le ferait sentir chez lui sur ce continent. Embourbée dans des débats institutionnels que le président américain comprend mal, l’Union européenne ne lui semble pas être une valeur sûre. Pour l’heure pourtant, la nouvelle donne stratégique qu’annoncerait le glissement vers l’Asie annoncé par Obama reste un projet sur le long terme. Dans un monde en mutation, même une puissance sans égal, tels que les Etats-Unis, ne peut pas faire jeu à part.

DES ALLIÉS DISPONIBLES, CAPABLES, PERTINENTS ET COMPATIBLES

Il lui faut des alliés qui sont non seulement “disponibles” mais aussi capables, pertinents et compatibles. Où d’autre mieux qu’en Europe pourrait-il mieux satisfaire l’ensemble de ces critères ? La Libye il y a 18 mois, et le Mali aujourd’hui, le confirment. Pas moins que ses prédécesseurs, Obama continuera donc d’accorder un droit de premier refus aux États européens et à leur Union. C’est le message avancé par Philip Gordon, le chef de la diplomatie américaine pour les questions européennes, à Londres il y a quelques jours : pour refaire l’Alliance il faut faire l’Europe.

L’originalité de ce message c’est que la participation de la Grande Bretagne dans ce grand dessein est une préférence, mais ce n’est plus un impératif : avec ou sans vous, Messieurs les Anglais. Conclusion renforcée à Washington par l’image de la France dont les relations bilatérales avec les Etats-Unis restent excellentes.

John Kerry et Chuck Hagel, respectivement futurs chefs de la diplomatie et ministre de la défense, ont été ” formés ” à la dure école de la guerre du Vietnam : finie, donc, l’image d’une Amérique qui se voulait être tout à la fois – un flic, une sage-femme, un contremaître, un banquier, un chirurgien, un prêtre, et davantage. Mais avant de confirmer une structure post-américaine élargie à un plus grand nombre de pays à puissance et influence variables, il y a pourtant une nouvelle mise en scène que les Etats-Unis doivent réaliser dans une région – le Moyen-Orient – dont la pacification ne peut pas être abandonnée à la traine de projets qui trainent (comme le projet européen) ou de puissances qui peinent (comme la Turquie) ou de puissances qui freinent (telles la Chine et la Russie). Échos du siècle précédent, lorsque le centre de gravité géopolitique était dans les Balkans.

Faire du Moyen-Orient la région-pivot de ces prochaines années n’est pas une perspective heureuse. Entre 1956 à Suez et 2006 en Iraq, c’est là que les Etats-Unis ont été le plus isolés, leur leadership le plus contesté. L’intimité américaine avec l’état israélien fait obstacle, mais avec près de trois Américains sur cinq entretenant une opinion favorable à son égard, c’est un obstacle qu’Obama ne peut pas facilement détourner.

Le conflit israélo-palestinien n’est pourtant pas, en ce début de mandat, la priorité la plus urgente pour la région. Plus pressante encore est la crise avec l’Iran, vécue au ralenti jusqu’ici mais sur le point d’arriver à son dénouement. Alors qu’une frappe militaire israélienne se rapproche, possible dès le printemps et probable d’ici à l’automne, Obama n’aura guère le temps de prendre son temps. Les enjeux sont trop importants, et aucun État ne pourra échapper à ses chocs multiples.

RENDEZ-VOUS AVEC L’HISTOIRE

Un conflit avec l’Iran sera d’autant plus dangereux qu’il est à la merci d’une région particulièrement instable : nations en transition, comme l’Egypte, qui repensent leurs alliances ; états à la dérive, comme la Syrie, qui rêvent d’une guerre comme leur salut ; pays défaillants, comme la Libye, qui exportent le chaos parmi leurs voisins ; voire, plus loin, des gouvernements à la dérive, démunis de tout sauf l’arme nucléaire, comme le Pakistan, où les prochaines élections annoncent de nouvelles dislocations.

En 2013 une capacité américaine à gérer la crise avec l’Iran – d’abord en retardant la frappe israélienne (en multipliant les garanties qui visent à gagner du temps pour les sanctions) mais ensuite, au besoin, en limitant les conséquences de ces frappes (en dissuadant ses cibles de représailles excessives) pourrait faciliter la résolution des autres questions dans la région. C’est donc un moment Sarajevo qu’Obama est destiné à vivre.

Souvenir, à nouveau peu rassurant : il y a une centaine d’années, l’incapacité à résoudre l’un ou l’autre des ” petits ” conflits qui enflammaient les Balkans déclencha une ” grande ” guerre qui allait définir la première moitié du 20ème siècle. Que de belles choses auraient pu se faire si cette guerre, inutile, avait été évitée ou, pour le moins, contrôlée. À l’aune d’un deuxième mandat présidentiel, Obama a rendez-vous avec l’histoire : il est grand temps pour lui de justifier un Prix Nobel qui lui fut accordé prématurément.

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