A l’heure où la sécurité énergétique n’a jamais semblé aussi aléatoire pour de nombreux pays, l’exploitation du gaz de schiste contribue à une redistribution des cartes sans doute bienvenue pour certains mais qui n’en demeure pas moins dangereuse.
Les implications liées à la révolution du schiste sont diverses et concernent aussi bien l’économie que la géopolitique ou l’environnement, notamment aux Etats-Unis et en Chine, ces deux principaux acteurs de la révolution en marche.
La question de l’indépendance énergétique n’est pas la seule à expliquer les attitudes des pays dotés de réserves abondantes.
Entre la Pologne, où le consensus est solide en faveur de l’exploitation du gaz de schiste pour mieux s’affranchir de la Russie, et la France, où la méfiance domine compte tenu des problèmes écologiques soulevés, les points de vue divergent et promettent des débats animés au sein de l’Union européenne.
Les considérations économiques sont également importantes quand l’on sait que le gaz est de 50 % à 70 % moins cher aux Etats-Unis qu’en Europe grâce à l’exploitation des gigantesques gisements du pays.
PEINTURES, SOLVANTS, PLASTIQUES, EMBALLAGES
L’avantage compétitif que l’industrie américaine construit est d’autant plus solide que les progrès techniques permettent désormais d’utiliser le gaz bon marché à la fois comme source d’énergie, mais aussi comme matière première.
Peintures, solvants, plastiques, emballages et autres lubrifiants sont ainsi de plus en plus fabriqués à partir du gaz et non plus à partir du seul pétrole. Avec le plastique, ce sont de nombreuses industries qui reviennent aux Etats-Unis après un détour de quelques années par la Chine. C’est le cas de l’industrie du jouet.
C’est dans le sous-sol américain que se construit le nouvel équilibre géopolitique du monde. En permettant aux Etats-Unis de réduire leur dépendance énergétique, le gaz de schiste contribue à remettre en cause une priorité stratégique américaine : la stabilité de l’approvisionnement en pétrole en provenance des pays fournisseurs du Moyen-Orient.
Cette stabilité impliquait une sécurisation des voies maritimes mais également un rôle de gendarme au sein même des pays concernés.
Dans un contexte économique justifiant un interventionnisme extérieur moins important au profit d’un recentrage sur l’interne, les Etats-Unis semblent destinés àentrer dans une phase d’isolationnisme telle que celles qui furent connues par le passé, la tendance étant depuis toujours cyclique sur ce point de l’autre côté de l’Atlantique.
Bien sûr, les besoins des Américains en pétrole sont énormes. Mais les Etats-Unis sont le pays qui voit sa production de pétrole et de gaz augmenter le plus vite.
Le Canada et le Mexique n’étant pas en reste, certains spécialistes n’hésitent plus à affirmer que l’Amérique du Nord pourrait atteindre l’autosuffisance en matière énergétique dans quelques années. La menace de voir les Etats-Unis renoncer à leur rôle coûteux de stabilisateur au Moyen-Orient est donc réelle.
Bien que fort, le terme de “menace” mérite d’être ici utilisé. Et cette menace concerne le reste du monde qui, depuis de nombreuses années, bénéficie du pétrole du Golfe grâce à la sécurisation de la zone par les Etats-Unis. La Chine est la première bénéficiaire de cette sécurisation.
LE PÉTROLE DU GOLFE EST EXPORTÉ VERS L’ASIE
Sa dépendance augmente chaque jour et, depuis peu, l’essentiel du pétrole du Golfe est exporté vers l’Asie. La situation est nouvelle mais la Chine risque rapidement de devoir faire face à ses responsabilités. Avec un seul porte-avions, la flotte militaire chinoise est loin de pouvoir sécuriser la route maritime permettant l’acheminement du pétrole du Golfe.
Le développement d’une flotte permettant de supporter de nouvelles responsabilités n’est sans doute qu’une question de temps. Mais la sécurisation d’une zone comme le Golfe n’est pas qu’une question de flotte militaire.
Ainsi, le gaz de schiste, au sujet duquel il est bien légitime de parler de révolution, pourrait constituer un problème pour la Chine, en dépit du paradoxe selon lequel le schiste est d’abord vu comme une nouvelle ressource à exploiter, assez abondante dans le sous-sol chinois.
Le vrai problème se situera toutefois sans doute sur un autre terrain pour la Chine.
POUVOIR DE NÉGOCIATION ENVERS LA CHINE
Bien que l’opinion publique américaine soit favorable à un interventionnisme réduit pour les années qui viennent, il y a fort à parier sur le maintien de la présence et de l’action américaines au Moyen-Orient.
Celui-ci reposera moins que par le passé sur la nécessité de sécuriser des approvisionnements en pétrole. Il pourra néanmoins trouver de vraies justifications dans la restauration d’un pouvoir de négociation envers la Chine.
Continuer à assurer la stabilité de la zone ne sera pas si coûteux au regard de la capacité à demander des concessions à la Chine en échange du service rendu (attitude à l’égard des alliés des Etats-Unis en Asie du Sud-Est, négociations commerciales, accès aux terres rares…).
En apparence, le monde risque de ne pas trop changer sur le plan géopolitique à la suite de la révolution du schiste, les Etats-Unis continuant à assurer leur rôle traditionnel de gendarme dans le Golfe.
En réalité, les rapports de force entre grands acteurs vont sans doute connaître des évolutions majeures. L’Europe n’étant pas un grand acteur énergétique, elle risque de se contenter du rôle de spectateur.
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