The United States: A Country Where Unmarried Couples Have No Name

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Les Américains débattent du « mariage pour tous » depuis si longtemps qu’ils devraient avoir épuisé le sujet. Mais non ! Ils adorent se marier en général, et trouvent sans cesse de nouveaux angles de discussion. Par exemple :

•quel nom donner à son (sa) partenaire quand on n’est pas (encore) marié ?

•ou encore : le mariage est-il un truc bourgeois ou révolutionnaire, plan-plan ou enthousiasmant, institution émancipatrice ou carcérale ?

Ces prises de tête passées de mode en Europe du nord titillent d’autant plus aux Etats-Unis que, mine de rien, l’union libre y gagne du terrain.

Du moins, c’est ce que disent les journaux. Pour ma part, depuis douze ans que je vis ici, je suis toujours étonnée de voir autant de jeunes encore en fac déjà mariés, si peu d’adultes sans alliance au doigt, et tant d’incompréhension générale face à l’idée toute bête de vivre ensemble sans passer par le mariage. Quitte à accumuler les divorces.

La bande-annonce de « Bachelorette »

Rien d’étonnant, dans un tel paysage, à ce que les gays américains aient réclamé depuis si longtemps le droit à l’égalité matrimoniale, là où les homos français se sont longtemps satisfaits du Pacs.

Ici, les couples non mariés n’ont aucun statut

Je n’ai pas réussi à trouver de pourcentages permettant de comparer l’état matrimonial de nos deux pays, âge par âge, taux de divorce, de remariage, etc, mais voici deux chiffres :

•en 2009, moins de 4 mariages ont été célébrés pour 1 000 habitants en France ;

•contre 6,8 mariages pour 1 000 habitants aux Etats-Unis.

Ici, les couples non mariés n’ont aucun statut, alors qu’en France, comme l’explique doctement à ses lecteurs le guide « Just Landed », les gens ont le choix entre trois sortes de vie commune en plus du mariage :

« La loi française fait la distinction entre les couples “non officiels” (en union libre) et “officiels” (en concubinage simple ou en Pacs). »

Elaine Sciolino, une des correspondantes du New York Times à Paris, tentait d’expliquer la mentalité hexagonale à ses lecteurs, le week-end dernier, sous ce titre ironique : « Les Français débattent du mariage gay, à leur manière » :

« La campagne pour la légalisation du mariage homosexuel intervient précisément quand le mariage hétérosexuel n’intéresse plus grand monde. »

Affolement général : l’âge du mariage recule

Tout de même, à défaut de renoncer au mariage, les jeunes Américains font comme tous ceux du monde occidental : ils prononcent leurs vœux de plus en plus tard. Ce qui ne les empêche évidemment pas de « coucher » avant. D’où l’affolement des églises, ligues familiales et même institutions gouvernementales, qui se mobilisent pour revigorer l’institution.

Deux livres sont sortis presque ensemble en 2012, racontant les efforts surhumains déployés par le gouvernement des Etats-Unis, les Etats, et la société civile dans son ensemble pour tenter d’enrayer la baisse des mariages en espérant qu’il en est encore temps.

•« One Marriage Under God : The Campaign to Promote Marriage in America » (Un Mariage au nom de Dieu : la campagne pour promouvoir le mariage en Amérique), de Melanie Heath, donne le détail incroyable des fonds publics affectés aux actions d’éducation et d’incitation au mariage ;

•« Not Just Roommates : Cohabitation after the Sexual Revolution » (Pas juste des colocataires : la cohabitation après la révolution sexuelle), de Elisabeth Pleck, retrace les combats pour le droit à l’union libre depuis les années 60.

« Mari » et « femme », trop vieillot, trop connoté

Paradoxalement, grâce au livre de Pleck, on comprend mieux pourquoi certains Américains sont si attachés au mariage, qu’ils considèrent comme un acquis social obtenu de haute lutte : à l’époque où les mariages inter-raciaux étaient interdits, les amoureux n’avaient d’autre choix que de vivre en union libre, marque infâme d’inégalité sociale. Comme les gays aujourd’hui dans la plupart des Etats.

Tout ce tintouin français récent, et américain depuis des lustres, a incité une écrivaine – mariée – à réfléchir à ses propres réticences envers le mariage et ses résonances vaguement passéistes et bourgeoises. Margot Page explique dans le NYT que l’appétit de ses amis gays pour cette institution désuète l’a réconciliée avec sa propre situation conjugale.

Sa rhétorique est surprenante, mais son raisonnement vaut d’être examiné. Margot, donc, et son mari Antony sont mariés depuis 22 ans, mais ont toujours mal assumé la terminologie « archaïque » de la chose. Ils emploient les mots « husband » (mari) et « wife » (femme) avec des pincettes ironiques :

« Le langage a une signification précise, et ce vocabulaire attribuant des rôles dans le mariage représentait un style de vie qui ne me convenait pas. Pendant des années, j’ai usé d’alternatives que j’espérais plus modernes : partenaire, co-parent, meilleur-ami-partageant-mon-lit…

Mais j’avais sans cesse l’impression désagréable de voler ces mots, soit à mes amis gays et lesbiennes qui, eux, n’étaient pas autorisés à les employer, soit à d’autres hétéros plus braves que moi, plus anticonformistes. »

« Les gays ont adoré la vieille terminologie du mariage »

Ces derniers temps, Margot et son Tony ont capitulé, assumant enfin d’être nominalement des époux. Mais ils n’avaient pas vu venir l’appétit des homos pour ces mêmes étiquettes officielles :

« Et vlan, ils se sont ramenés avec ça, revendiquant la vieille terminologie. Utilisant le lexique du mariage traditionnel, non de la manière dont je l’avais fait, avec ironie, mais dans l’esprit sincère d’échange de leurs vœux. Ils adoraient ça ! »

Margot Page bat donc sa coulpe, se demandant honteusement « qui elle est, elle, pour avoir oser réclamer une alternative ». Et, profondément empathique, elle conclut par une nouvelle allégeance à l’institution conjugale :

« Mes amis homos (same-sexing pals), laissez-moi vous dire ceci : mon incapacité à utiliser certains mots sans ironie n’est rien en comparaison de notre longue histoire sociale qui vous a brimé tout ce temps. Je sais que ma minuscule victoire linguistique est négligeable en comparaison de celle que vous êtes en train de remporter pour l’égalité dans le mariage pour tous.

Je m’excuse à l’avance pour les accusations dont vous allez faire l’objet : que vous désanctifiez l’institution du mariage.

Mais sachez que pour beaucoup d’hétéros, au contraire, vous la resanctifiez. Vous la revivifiez. Sachez que, quand je vous entends prononcer les mots “mari” et “femme” avec tant de révérence et d’amour, je me souviens que je peux, moi aussi, les dire. »

Les couples non mariés galèrent pour se trouver des noms

Après cet ode vibrant au mariage, comment d’irréductibles concubins, farouches partisans de l’union libre, courageux Américains bravant les usages sociaux, oseraient-ils encore la ramener avec leur refus de l’engagement signé ?

Un excellent reportage du NYT – encore lui – est paru début janvier, tout aussi long que la tribune précédemment citée, mais que je vais résumer davantage après cette introduction :

« Maintenant que nous sommes parvenus à un certain consensus sur le mariage pour tous, passons au puzzle suivant : comment appelle-t-on deux personnes agissant comme si elles étaient mariées, mais qui ne le sont pas ? »

Notez qu’on ne s’intéresse plus au sexe des personnes en question ; il peut s’agir aussi bien de couples hétéros que homos.

« Amant » ? Trop sexualisé

On n’est pas en France où, après bien des années de flottement et avec la multiplication des unions civiles, les termes « compagne » et « compagnon » semblent être entrés dans le langage courant, du moins pour les adultes. Aux Etats-Unis, dès qu’un enfant désiré paraît, il est encore rarissime que les parents ne se marient pas.

« Tous s’accordent à reconnaître que “partenaire” sonne horriblement : trop anodin, vide, froid.

“Amant” est peut-être pire : trop sexualisé, graphique, uni-dimensionnel.

“Boyfriend” fait gamin.

“Significant other” [intraduisible, ndlr] : trop années 80.

“Ami spécial” ou juste “ami”, utilisé par les plus de 65 ans : carrément ridicule. »

La lexicographie légale n’apporte aucune lumière puisque, contrairement à la France où le terme « concubin » existe dans la loi, les démographes américains n’ont pas ressenti le besoin de recenser les unions libres avant 1980. Le NYT explique :

« Jusque dans les années 70, les “ faux époux ” étaient si rares et si tabous qu’on n’avait pas besoin de les compter. Lors du recensement de 1980, on a fait un effort pour évaluer le nombre de ces créatures, en les dénommant “personnes de sexe opposé partageant un lieu de vie”, POSSLQ, à prononcer “possle cue”. »

L’humour, quand les gens ne sont pas à l’aise

Un autre terme est souvent utilisé dans les médias, qu’on retrouve aussi dans cet article du NYT : « Paramour. » J’aime bien. Mais pas Carmen Fought, linguiste du Pitzer College, qui considère que les petits noms rigolos sont révélateurs d’un inconfort général vis-à-vis des couples non mariés :

« L’humour est la stratégie courante pour faire face aux bizarreries sociales. Quand ils ne sont pas à l’aise, les gens se réfugient dans le sarcasme. »

Carmen Fought prend l’exemple du titre « Ms », contraction de « Mrs » (Mme) et « Miss » (Mlle), qui est apparu dans les années 70 et désormais prévaut aux Etats-Unis pour toutes les femmes :

« Quand on aura trouvé là aussi la bonne terminologie, vous verrez que ça changera la manière dont pensent les gens. »

Voilà. Toutes ces histoires américaines superficielles et vaguement hors-sujet pour vous distraire du très sérieux débat en cours à l’Assemblée nationale française…

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