Arming of Syrian RebelsDivides Washington

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L’histoire retiendra-t-elle le refus de Barack Obama d’armer les rebelles syriens à la fin de son premier mandat comme une manifestation de sa sagesse ou comme une erreur tragique ? De façon inattendue, la question a pris un singulier relief, jeudi 7 février, au Sénat américain, lorsque deux très hauts responsables du Pentagone ont reconnu avoir, au cours de l’été 2012, soutenu Hillary Clinton et David Petraeus, alors respectivement secrétaire d’Etat et chef de la CIA, qui recommandaient de fournir des armes aux opposants au régime de Bachar Al-Assad.

Témoignant devant les sénateurs, Leon Panetta, secrétaire à la défense (sur le point d’être remplacé par Chuck Hagel) et le général Martin Dempsey, chef d’état-major de l’armée américaine, ont admis, dans la foulée, que cette option avait fait l’objet d’un veto du président Obama, alors en campagne électorale.

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Ces dissensions, révélées au cours d’une audition publique, ont fait sensation, au point d’en éclipser l’ordre du jour, consacré à l’attaque contre le consulat américain à Benghazi, en Libye, le 11 septembre 2012. Longue de quatre heures, la séance a connu un pic d’intensité lorsque le sénateur républicain John McCain, adversaire de M. Obama en 2008 et partisan d’une aide américaine aux rebelles syriens, a questionné solennellement MM. Panetta et Dempsey.

“Combien de gens devront mourir avant que ne vous recommandiez une action militaire ? En mars dernier, 7 500 Syriens avaient été tués. On en est maintenant à au moins 60 000 !” Et le sénateur de préciser sa pensée : le Pentagone a-t-il soutenu la recommandation faite par Mme Clinton et le général Petraeus de fournir des armes à la résistance ? “Avez-vous soutenu cela ?” “Nous avons soutenu cela”, ont répondu tour à tour M. Panetta et le général Dempsey.

VETO PRÉSIDENTIEL

Le 2 février, le New York Times avait révélé que, à l’été 2012, la secrétaire d’Etat et le patron de la CIA avaient joint leurs forces pour soutenir “un plan” consistant à “soumettre les groupes rebelles à une enquête approfondie et à entraîner des combattants qui auraient été approvisionnés en armes”. Le conflit semblait connaître un tournant. Le régime avait été ébranlé, le 18 juillet, par un attentat spectaculaire à Damas, suivi par une offensive rebelle sur Alep. Le recours aux bombardements aériens avait redonné un avantage au régime, qui a répondu favorablement vendredi à une offre de dialogue du chef de l’opposition, Ahmed Moaz Al-Khatib, en excluant ses “conditions préalables”.

Les Etats-Unis contrôlent la fourniture aux rebelles d’armes légères, qui viennent principalement du Qatar et d’Arabie saoudite, via la Turquie. Mais Washington ne livre que du matériel de vision et de transmission, des moyens d’entraînement ainsi que de l’aide humanitaire. Les Américains maintiennent un embargo sur la fourniture d’armes antiaériennes, par crainte de les voir utilisées contre eux dans le futur.

Depuis le veto présidentiel américain, la rébellion a continué de marquer des points, mais avec un coût humain extrêmement élevé et au prix d’une fragmentation et d’une radicalisation inquiétantes dans ses rangs. Cette évolution a conduit les Européens à débattre de la possibilité de lever l’embargo sur les armes, défendue principalement par les Britanniques et plus modérément par les Français, mais à laquelle les Scandinaves s’opposent. Les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne devraient à nouveau en discuter le 18 février.

LA “LIGNE ROUGE” POSÉE PAR LES ARMES CHIMIQUES

Aux Etats-Unis, l’éventualité d’un changement d’attitude du président Obama après sa réélection, le 6 novembre, n’a pas pris corps. Fin janvier, interrogé par CBS, le président semblait moins fermé, mais il disait encore avoir du mal à trancher : “Nous ne rendons service à personne quand nous nous précipitons avant de regarder, quand nous prenons en charge des choses sans avoir réfléchi à toutes les conséquences.”

L’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien contre des opposants, à Homs, le 23 décembre, aurait pourtant dû faire basculer Washington, puisque Barack Obama en avait fait une “ligne rouge” aux “conséquences énormes”. Mais le département d’Etat s’est déclaré en janvier incapable de “confirmer” l’usage des armes chimiques, rapporté par Le Monde.

Le grand renouvellement des hauts cadres de l’exécutif – Mme Clinton vient d’être remplacée par John Kerry et le général Petraeus est sur le point de l’être par John Brennan – semble avoir favorisé le déballage d’un désaccord tenu secret jusqu’ici. Il met en exergue la réticence de l’administration Obama à s’impliquer militairement de façon visible par crainte de l’hostilité de l’opinion. “Nous regardons quelles mesures, notamment diplomatiques, pourraient être prises pour s’efforcer de réduire cette violence”, a d’ailleurs indiqué vendredi M. Kerry. Ce dernier s’est refusé à commenter les révélations de MM. Panetta et Dempsey : “Je ne vais pas revenir en arrière. C’est un nouveau gouvernement, un second mandat pour le président, je suis le nouveau secrétaire d’Etat et nous allons avancer à partir de là.”

Après son “scoop”, John McCain a qualifié la situation en Syrie d'”échec choquant de la politique américaine”, exhortant le président à “tenir compte des conseils (…) et à prendre immédiatement les mesures nécessaires (…) afin de hâter la fin du conflit”. Les partisans d’une aide militaire aux rebelles soulignent qu’elle seule donnerait aux Etats-Unis une influence réelle si, à Damas, le pouvoir venait à changer de mains.

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