La paille, la poutre, Montebourg et Titan
Il n’y a aucun rapport entre l’affaire DSK au Sofitel de New York et la fermeture probable d’une usine Goodyear à Amiens, faute de repreneur. Mais permettez-moi de faire néanmoins un rapprochement.
On traîne aujourd’hui dans la boue un patron américain qui ne fait pas de quartier, exactement comme on traînait hier dans la boue la police de New York et le procureur Vance. Ces derniers allaient vite en besogne. Ils méprisaient la présomption d’innocence. Ils osaient s’immiscer dans les affaires intérieures politiques françaises. En condamnant DSK d’avance, ils condamnaient la France.
Depuis ces beaux discours se sont tus. Les Français ont ouvert les yeux. La presse parisienne a enfin fait son métier. On a compris que DSK n’était pas si innocent que
ça. Il l’a lui même admis chez Claire Chazal en parlant de “faute morale”.
Maurice Taylor a osé dire qu’il ne voulait passer pour un pigeon, apporter des millions pour reprendre une usine dont Goodyear ne veut plus, si la CGT continue d’y faire la loi.
Sans aucune précaution oratoire, il accuse la CGT d’être stupide, il reproche aux ouvriers de l’usine d’Amiens de ne pas travailler assez. Lorsqu’il a dit cela de vive voix à ces ouvriers syndiqués, ces derniers lui ont dit : «En France, c’est comme ça». Et Maurice Taylor de conclure, probablement trop vite, que la France est aux mains de syndicats de paresseux qui détruisent l’industrie du pays.
C’est une caricature. Mais comme dans toute caricature, il y a du vrai. Au lieu de faire de Maurice Taylor le prototype du riche crétin américain qui pense investir en France, on ferait mieux de réfléchir aux éléments exacts derrière les accusations provocantes de Maurice Taylor. Et ce d’autant plus que la France et les 1.173 employés de l’usine d’Amiens ont bien plus besoin de lui et de ses millions, que lui n’a besoin d’eux !
Rappelons tout de même que cette lettre de Maurice Taylor était confidentielle. Jamais ce patron du Midwest n’aurait cru qu’elle serait publiée. Son intention n’était pas de déclencher une polémique en France. Ceux qui à Bercy ont jugé bon de publier la lettre avaient une motivation très claire : discréditer Maurice Taylor et se dédouaner de leur échec à trouver un repreneur pour Amiens Nord…
Naturellement, il aurait été plus prudent de sa part de l’écrire dans des termes moins agressifs. Mais Maurice Taylor a un style. Le grizzly gronde. L’écho de son grondement a été plus fort qu’il ne l’aurait imaginé.
La réponse écrite du ministre du Redressement productif est juste sur plusieurs points. Elle précise que la France attire beaucoup de sociétés étrangères, en particulier américaines. Elle souligne que la France n’est pas un pays de paresseux. Il fallait corriger la caricature.
Mais naturellement Arnaud Montebourg passe aussi à côté de quelques points fondamentaux.
1) Amiens nord n’a pas de repreneur
Les jusqu’au-boutistes de la CGT ont perdu. C’est très triste. La fermeture d’une usine est une chose terrible. Des centaines de familles seront probablement plongées dans un drame social bouleversant. Certaines se sentiront probablement instrumentalisées par un syndicat et des forces politiques qui les dépassent.
Ce n’est pas le moment de faire le beau et de donner des leçons aux étrangers susceptibles d’investir en France.
2) Si la France était si compétitive et attrayante, pourquoi a-t-on besoin du talent d’Arnaud Montebourg pour redresser son industrie ?
L’économiste Patrick Artus, de la banque Natexis, explique aujourd’hui dans Le Figaro, que le coût salarial par unité produite est de 10% plus élevé en France qu’en Allemagne, et de 20% par rapport à l’Espagne et au Royaume-Uni.
L’industrie ne représente plus que 11% de l’économie française, contre une part de 21% dans l’économie allemande, 15% en Italie, 30% en Finlande.
Moi qui habite aux États-Unis depuis près de 30 ans, j’entends dire tous les jours par des Français bardés de diplômes que la France a une politique industrielle et que l’Amérique n’en a pas.
Il n’y a effectivement pas de ministre de l’Industrie aux États-Unis. Mais malgré cette horrible lacune, le secteur manufacturier américain pèse autant dans l’économie qu’en France : 11, 5%. Heureusement que de brillants esprits en France ont une politique industrielle. Les résultats sont éclatants. Qu’ils sont nuls ces Américains simplistes, rustres, incultes et irrespectueux de l’esprit français et de ses élites.
3) Maurice Taylor n’a jamais prétendu être plus grand, plus fort ou plus malin que Michelin
La société française est un exemple de réussite aux États-Unis : ses produits de haute qualité, fabriqués aux États-Unis par des Américains pour le marché américain, sont largement reconnus.
Titan International est effectivement un acteur de second rang face à Michelin. La société est spécialisée dans le pneu agricole et le pneu d’engins de chantier.
Mais son ambition n’est pas d’inonder les pays riches de pneus bon marché faits en Inde. Elle souhaite fabriquer des pneus pour les marchés locaux. Si l’industrie du pneu disparaissait de France, il faudra cependant importer des pneus d’ailleurs…
Le patron de Titan International n’a jamais prétendu être un expert de la France. Il a visité plusieurs fois l’usine d’Amiens Nord. Il en a conclu qu’elle ne pourrait survivre que si des réformes et des rationalisations étaient mises en œuvre. Goodyear avait conclu la même chose. Et si Michelin, cité par le ministre français dans sa lettre, ne reprend pas non plus l’usine, c’est peut-être justement qu’il y a un problème…
Maurice Taylor en a extrapolé d’autres conclusions sur le retard et le déclin de la France. Il a rendu ses conclusions dans une lettre confidentielle au ministre. Au lieu de méditer sur ces conclusions, et d’en retirer les éléments provocateurs et excessifs, le ministre a préféré monter au créneau.
Dans ma conversation avec lui, Maurice Taylor a souligné non pas la «paresse» des syndiqués, mais leur coût élevé. C’est sur ce point qu’il aurait dû insister plus tôt.
Le résultat est que la presse américaine a fait largement état de l’affaire. La France est sur la défensive. Au final les bons arguments du ministre sont dilués dans les accusations de Maurice Taylor qui, ici, sonnent justes pour beaucoup.
On ne polémique pas sur la paille dans l’œil d’un accusateur, lorsque l’on a soit même une poutre dans son œil.
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