LE PLUS. Le nouveau secrétaire d’État John Kerry a confirmé ce jeudi que les États-Unis allaient accroître leur soutien aux opposants à Bachar al-Assad. Faut-il y voir les dernières heures du dirigeant syrien ? Pas uniquement, explique Thomas Snegaroff, directeur de recherche à l’Iris et spécialiste des États-Unis.
L’annonce selon laquelle la Maison Blanche s’apprête à apporter un soutien de 60 millions de dollars aux opposants syriens ne doit pas être exagérée, et ce pour deux raisons.
Une aide humanitaire et organisationnelle
D’abord, parce que l’aide américaine existe déjà. Depuis le début de la guerre civile, les États-Unis ont déjà donné 365 millions de dollars aux Syriens opposés à Bachar al-Assad. La différence entre les aides précédemment versées et celles qui s’apprêtent à l’être, c’est qu’auparavant, ces dernières étaient affectées à des associations humanitaires, tandis que maintenant, c’est l’Armée syrienne libre, l’opposition officielle, qui va en bénéficier.
Ensuite, parce que ce soutien n’est pas militaire. “Non-létal”, a précisé le nouveau secrétaire d’État américain John Kerry lors de la dernière journée de sa tournée européenne. Washington n’envisage pas – ou en tout cas, pas tout de suite – d’aide en armements. Seules des mannes humanitaires et organisationnelles sont pour l’instant prévues. Les Américains restent extrêmement inquiets de la présence d’islamistes parmi les combattants de l’ALS. Selon leur département d’État, le groupe Al-Nusra, très impliqué dans l’insurrection, est lié à Al-Qaida.
À quel usage ? D’abord, de façon à venir en aide aux populations. Ensuite pour structurer l’opposition. En agissant de la sorte, ils veulent lui donner de la légitimité. Les Américains ne parient pas sur la militarisation du conflit pour renverser al-Assad mais sur l’arrivée d’instructeurs qui seront autant d’informateurs sur l’identité des principales forces de l’opposition syrienne.
Un moyen de ne pas froisser la Russie et la Chine
Ils ont bien compris que dans ce conflit, l’intérêt était d’y aller doucement, mais sûrement. Connaissant la logique suicidaire dans laquelle s’est enfermée Bachar al-Assad, la solution militaire aurait mené directement au chaos. En agissant ainsi, John Kerry et Barack Obama font coup double. Le président américain reste fidèle à sa volonté que l’Amérique ne soit plus un pays en guerre et n’a pas vocation à l’être. Enfin, ils s’évitent une mauvaise réaction de la part de la Russie, sachant qu’il se murmure que Vladimir Poutine pourrait se décider à faire pression sur le dictateur syrien.
Cela dessine un nouvel horizon géopolitique au Moyen-Orient et c’est aussi le symbole du “smart power”, selon l’expression d’Hillary Clinton, dont les États-Unis veulent faire preuve en matière de politique étrangère.
Pourquoi cet accroissement seulement maintenant ? Les États-Unis devaient gérer leur sortie d’Afghanistan. Ensuite, l’année 2012, année d’élection parlementaire et présidentielle, a gelé toute prise de décision en matière de politique étrangère. Par ailleurs, le chaos qui a suivi l’intervention en Lybie a amené l’administration américaine à se méfier. Il fallait également tenir compte du soutien apporté au régime en place par la Chine et la Russie, deux puissances que les États-Unis veulent ménager.
Enfin, ajoutez à ça le fait que les investissements en Syrie n’ont rien donné, et on comprend qu’il y avait de quoi être prudent. Sur le plan humanitaire, ça avait fonctionné, mais sur le plan diplomatique, pour un pays qui veut se débarrasser de l’arc chiite – malgré des tentatives de rapprochements avec l’Iran –, c’est un échec.
Avec Kerry, la diplomatie américaine marche sur deux pieds
John Kerry, justement. Le successeur d’Hillary Clinton commence très fort son parcours. Europhile convaincu, il a consacré sa première tournée à l’Europe, qui avait été le parent pauvre des années Clinton au secrétariat d’Etat américain. Alors que sa prédécesseure avait insisté sur la géo-économie, lui semble commencer par des initiatives géostratégiques.
Ce peut être une nouvelle ère qui s’ouvre aux États-Unis. Non qu’ils abandonnent la géo-économie, bien au contraire. La visite de Kerry est là pour s’en assurer, puisqu’il y était aussi question d’avancer sur un accord de libre-échange américano-européen. Mais ce voyage est symboliquement très intéressant, il signifie que la politique étrangère américaine remarche sur les deux pieds, à nouveau.
La géopolitique, un peu négligée sur l’autel de la géo-économie lors du premier mandat – malgré les promesses du Caire – semble pouvoir retrouver sa place, maintenant que le désengagement en Irak et en Afghanistan est une réalité. L’administration Obama II semble davantage décider à agir pour la résolution du conflit israélo-palestinien et l’intervention en Syrie, même du bout des lèvres et indirectement, s’amorce.
C’est d’autant plus intéressant que cette nouvelle donne a lieu au même moment où la France prend une nouvelle place de soutien et de partenaire dans la stratégie américaine. Son action au Mali est idéale pour les États-Unis, qui partage ainsi son fardeau de gendarme du monde Mais dans le cas syrien, l’aide américaine, c’est aussi le signe que les États-Unis ont compris qu’ils étaient les seuls à pouvoir faire bouger les lignes dans le conflit. Là, l’Amérique ne peut mettre en pratique sa nouvelle doctrine “Lead from Behind”. Que ce soit la France, l’Allemagne ou d’autres puissances occidentales, l’intervention militaire y est exclue.
Les Américains doivent être extraordinairement prudents en Syrie. Ils semblent apprendre de leurs erreurs du passé, et ça c’est assez nouveau…
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