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Posted on March 19, 2013.
La destruction systématique de la confiance
Par Pierre-Yves Dugua le 19 mars 2013 0h28 |
Depuis plus d’un an, tout se passe comme si, de part et d’autre de l’Atlantique, les autorités s’ingéniaient à détruire la confiance.
L’affaire du sauvetage mal ficelé de Chypre est le dernier épisode de cet amateurisme politique irresponsable en Europe. Mais il y d’autres exemples: le gouvernement français qui s’accroche à des promesses intenables de réduction du déficit budgétaire, pour ensuite les abandonner, sans convaincre qu’il sait comment résoudre le problème de fond…Ou encore l’absence de réformes crédibles pour donner aux entreprises les marges nécessaires pour qu’elles investissent et embauchent. Ou encore la politique délibérée de découragement des “riches”, transformés en boucs émissaires d’une crise venue pourtant de 40 ans de mauvaises politiques.
On pourrait citer aux États-Unis, d’autres exemples lamentables de sabotage de la confiance: la succession de psychodrames budgétaires, les menaces de suspension du droit du Trésor américain à émettre des obligations, l’absence de budget fédéral depuis 2009 qui érige en méthode de gouvernement le bricolage fiscal, le refus des deux partis politiques de parler à la fois de réductions de dépenses sociales ET de hausses d’impôts, alors que tout le monde sait qu’elles sont toutes les deux indispensables, le rachat par la banque centrale d’une partie de la dette publique, le maintien de taux zéro qui éliminent la rémunération de l’épargne,…autant de handicaps que l’Amérique s’impose et dont les effets collatéraux minent la confiance.
L’ingrédient le plus important pour rendre possible la croissance économique est la confiance. Même si le crédit est abondant, même si les revenus des ménages sont solides, même si les entreprises disposent de belles trésoreries, sans la confiance, rien ne se passe.
La confiance est difficile à cerner. Elle résulte d’une conjonction de facteurs subjectifs comme les précédents historiques, la bonne application des règles de droit, la visibilité réglementaire, la solidité d’une monnaie, la crédibilité des régulateurs, et SURTOUT la COMPÉTENCE des autorités politiques.
Comment peut-on imaginer de créer un système qui déclenche à Chypre une panique bancaire ? Dans l’esprit de quel ministre une idée pareille peut-elle germer ? Sur quelle planète habitent ces gens qui gouvernent l’Europe ? N’ont-ils pas vu que les italiens et les espagnols se poseraient immédiatement des questions sur le plein accès à leurs dépôts bancaires ?
La Banque Centrale Européenne a mis en place en 2012 des mesures exceptionnelles d’apport de liquidités aux banques et aux États en difficultés, sous conditions que ceux-ci réforment leurs pratiques. Mais ces réformes ne viennent pas. Et on s’étonne ensuite que la crise resurgisse !
Le FMI explicitement hurle depuis des mois à qui veut bien l’entendre qu’il est urgentissime de réformer la réglementation bancaire en Europe, en particulier de supprimer l’emprise nationale des gouvernements sur les banques de leurs pays. Mais rien ne se passe vraiment dans la pratique. Et on s’étonnera demain que les capitaux américains ne reviennent plus refinancer tel ou tel établissement bancaire européen !
La confiance est d’autant plus difficile à générer qu’elle est facile à détruire. Le meilleur moyen de la détruire est pour un gouvernement de promettre de faire A, B et C et de ne faire ensuite que la moitié de A pour mieux oublier B et C.
Voilà dix ans que les États-Unis promettent à leurs collègues du G7 de s’attaquer à leur problème de déficit budgétaire. Mais rien ne se fait.
Le Traité de Maastricht remonte à 1992. L’an dernier on a promis de le moderniser, de le renforcer, de le rendre encore plus crédible. Mais dans la pratique les objectifs de discipline ne sont jamais tenus par les pays douteux de la zone euro. Et on trouve toujours une bonne excuse pour retarder l’application de ces belles résolutions.
Et l’on s’étonne ensuite que la confiance des investisseurs et des entreprises ne soit pas au rendez-vous.
Reste l’autre aspect de la confiance: celle des citoyens dans leurs élus. Ce déficit-là ne cesse de grimper lui aussi. En Grèce, en Espagne, en Italie et en France, entre autres, les responsables politiques passent pour des mauvais. On croit de moins en moins aux partis traditionnels. On veut donner sa chance à des extrémistes, à des rigolos, à des nouvelles têtes. On se défoule avec des slogans populistes. Le désespoir fait faire n’importe quoi aux peuples.
Aux États-Unis, le débat politique est également bloqué par la propagande irresponsable des deux partis. L’un affirme que les dépenses publiques ne doivent pas être réduites, ni maintenant, ni demain, ni jamais. Dès qu’on entre dans le détail d’une éventuelle économie, c’est la levée de boucliers parmi les bonnes âmes démocrates. On l’a bien vu lorsqu’il s’agissait de trouver 85 petits milliards de dollars d’économies dans budget de 3600 milliards de dollars. Les démocrates ont bloqué tout sans rien proposer, à l’exception de nouvelles hausses d’impôts !
Côté républicain, même niaiserie: on refuse d’accepter toutes hausses d’impôts à moyen et long terme, mais aussi toute réduction des dépenses militaires, toute élimination d’avantages fiscaux qui introduisent pourtant des rentes de situation et déséquilibrent l’allocation saine des ressources. Il est vrai que les républicains ont accepté, à leur corps défendant, des hausses d’impôts le 1er janvier. Mais ce sacrifice les renforce maintenant dans leur refus de négocier une réforme fiscale qu’ils appelaient pourtant de leurs vœux l’an dernier.
Voilà pourquoi en dépit d’énormes trésoreries les grandes entreprises américaines investissent peu. Il est vrai qu’aux États-Unis la situation est moins dramatique qu’en Europe. À cela, plusieurs raisons: d’abord, grâce à une politique monétaire d’un laxisme sans précédent, doublée d’une politique budgétaire tout aussi laxiste (un déficit encore à 5% du PIB cette année), la croissance est malsaine, mais elle existe.
Ensuite les ménages sont en train de relativiser l’impact de l’impasse politique à Washington. Ils reprennent par ailleurs confiance grâce au regonflement de la bulle immobilière: leur patrimoine s’apprécie, ils se sentent plus riches.
Enfin l’État pèse moins aux États-Unis qu’en Europe. Son blocage est donc moins débilitant ici que sur le vieux continent. La forte hausse de Wall Street depuis le début de l’année illustre la reconstitution d’une certaine forme de confiance en Amérique, premier pas vers un retour à la normale.
En Europe, le problème hélas est trois fois plus délicat. Il faut à la fois réformer les politiques nationales de l’emploi, de l’éducation, de la taxation, de la formation et en même temps procéder à des abandons massifs de souveraineté qui ne sont pas compris, mal tolérés, et que les gouvernements nationaux ne veulent pas vraiment accepter de peur de perdre leurs privilèges. Ce double impératif était difficile à faire passer en période de croissance faible. Il est encore plus difficile en période de récession.
Au lieu d’agir comme force qui briserait les résistances aux réformes, la récession semble au contraire paralyser les réformes. Et pour ne rien arranger, les pays qui comme l’Espagne ont engagé de vraies réformes douloureuses, ne sont pas bien récompensés par les marchés. Pourquoi ? Parce que ces derniers n’ont pas confiance dans le contexte politique local et surtout doutent de la crédulité de politiques jamais employées jusqu’à présent: il n’y a pas de précédent à grande échelle d’un succès d’une dévaluation interne.
Cette expression décrit ce que la zone euro veut faire faire, avec la bénédiction du FMI, aux pays dont la productivité n’est pas assez forte. Comme ils ne peuvent dévaluer, puisqu’ils restent dans l’euro, ils doivent baisser leurs coûts autrement: en réduisant leur pouvoir d’achat !
Oui, il faut le dire: l’appauvrissement relatif des espagnols est la condition supposée du maintien de l’Espagne dans la même zone monétaire que l’Allemagne. C’est fou, mais c’est ça la “dévaluation interne”. Comment croire que cette gigantesque expérience à l’échelon d’un continent, inspire la confiance ?
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