Edited by Gillian Palmer
L’interminable crise iranienne, qui dure maintenant depuis plus d’une décennie, a-t-elle connu un tournant lors de la dernière réunion d’Almaty, au Kazakhstan, fin février ? Le groupe des “5 + 1” (Etats-Unis, France, Russie, Grande-Bretagne, Chine et Allemagne), qui représente, dans les faits, la communauté internationale, y a présenté à l’Iran un nouveau “paquet” destiné à rétablir la confiance et à engager de véritables négociations sur le programme nucléaire. Cette offre, plus attractive que les précédentes, consistait à limiter les exigences immédiates envers l’Iran – dans le domaine de l’enrichissement de l’uranium à 20 %, le plus préoccupant – en échange d’un allégement limité des sanctions.
Seulement voilà : comme le montrent à l’envi, depuis quelques jours, les déclarations officielles, la presse de Téhéran et les commentaires des “experts” iraniens, cette offre a été perçue comme le début d’un renoncement. A les en croire, la communauté internationale aurait commencé à accepter les positions iraniennes, et la patience de Téhéran aurait fini par payer. Il suffirait donc à l’Iran d’attendre un peu plus longtemps pour arriver à ses fins. Autrement dit, notre bonne volonté a été interprétée comme un signe de faiblesse.
L’ayatollah Ali Khamenei, guide de la révolution et décideur suprême dans ce domaine, a-t-il déjà fait le choix de fabriquer la bombe ? Ce n’est pas certain. Mais ce qui est sûr, c’est que plus l’Iran s’approchera du seuil nucléaire, plus la tentation sera grande de franchir ce seuil. Depuis 1945, tous les pays qui ont autant investi que l’Iran l’a fait sur une option nucléaire militaire ont fini par exercer celle-ci, sauf à avoir été interrompus par un changement de régime (Brésil, fin des années 1980) ou un conflit international (Irak, 1991). Que faire alors ? La stratégie de la communauté internationale doit comprendre quatre éléments.
AFFINER LES SANCTIONS
Premièrement, ne pas faiblir en ce qui concerne nos exigences immédiates sur l’uranium enrichi à 20 %, qui sont destinées à gagner du temps et à éviter une frappe israélienne.
Deuxièmement, affiner les sanctions en concentrant nos efforts non seulement sur celles qui touchent le plus directement le programme nucléaire – et qui ont déjà démontré leur efficacité en ralentissant ce programme -, mais aussi sur celles qui affectent les avoirs et le sort personnel des dirigeants iraniens et des gardiens de la révolution, qui sont souvent des businessmen. Les sanctions peuvent donner des résultats mais elles ne sont efficaces qu’à long terme. Or, cela ne fait qu’un an qu’elles affectent véritablement le pouvoir iranien. Et le fait même que l’Iran ait alors accepté de revenir à la table des négociations montre bien que le durcissement des sanctions peut être efficace. Quant à la population iranienne, elle souffre infiniment plus d’une gestion économique désastreuse que des sanctions elles-mêmes.
Troisièmement, persuader l’Iran qu’une véritable sortie de crise est possible, y compris en permettant à Téhéran de sauver la face. Les contours d’une solution de long terme sont connus : après une période de rétablissement de la confiance, l’enrichissement de l’uranium à moins de 5 % (un taux incontestablement “civil”) serait possible dès lors que l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) aurait toute liberté d’inspecter le pays et qu’elle se dirait satisfaite de sa capacité à vérifier que les matières nucléaires n’y font l’objet que d’une utilisation pacifique. Aujourd’hui, elle se dit incapable de donner cette assurance.
Le problème est que même ceux qui, en Iran, seraient prêts à abandonner l’option militaire semblent croire que les pays occidentaux veulent en fait un changement de régime et que, si Téhéran cédait sur le nucléaire, l’Iran s’exposerait à un accroissement des pressions politiques. A nous donc de les persuader que ce n’est pas le cas. Il n’est pas question d’abandonner les démocrates iraniens et de sacrifier les droits de l’homme sur l’autel de la non-prolifération ; mais il faut savoir découpler les dossiers.
L’EMPLOI DE LA FORCE, UNE OPTION CRÉDIBLE
Quatrièmement, convaincre Téhéran que l’emploi de la force par les Etats-Unis est une option crédible, même si c’est en tout dernier ressort. Entendons-nous bien : personne ne peut souhaiter, et encore moins recommander, une action militaire contre l’Iran. Mais à la fin de la première guerre du Golfe, en 1987-1988, la peur d’une entrée en guerre des Etats-Unis avait été déterminante dans la décision de l’imam Khomeiny (1902-1989) de demander un cessez-le-feu. Car ce qui compte pour les dirigeants iraniens, c’est de conserver leur pouvoir. Ils n’ont sans doute pas peur d’une action israélienne : celle-ci serait nécessairement limitée et pourrait même, selon eux, rehausser le prestige du régime. Une action américaine serait de plus grande envergure et ne manquerait pas d’affecter des ressorts du pouvoir iranien tels que les bases et centres de commandement des gardiens de la révolution.
C’est à tort que l’on réduit souvent la crise nucléaire à un affrontement avec les Etats-Unis : dans cette affaire, c’est bien l’ONU contre l’Iran. Et les Européens continuent d’y jouer un rôle essentiel. Mais la clé demeure à Washington. Barack Obama aura tout essayé, et ses offres de pourparlers directs sans conditions ont été une nouvelle fois rejetées par Téhéran en février. Sa volonté de ne pas laisser l’Iran franchir le seuil nucléaire ne doit pas être mise en doute. Il lui faut convaincre le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, de sa détermination, ce qui sera l’un des objectifs de sa prochaine visite en Israël. Il s’agit en effet pour Washington d’éviter qu’Israël ne prenne une initiative qui pourrait s’avérer désastreuse pour la région, surtout au moment où la guerre en Syrie – dans laquelle l’Iran intervient de plus en plus – déborde déjà et menace de déstabiliser le Liban et l’Irak. Mais il lui faut surtout persuader Ali Khamenei que la poursuite de l’effort iranien ne peut aboutir, à terme, qu’à la mise en danger de son pouvoir personnel et du régime lui-même.
Let Israel deal with. Then two of the most obnoxious countries on the planet can go at it. And as long as they leave me and mine out of it, I don’t care what they do.
It’s none of our business.