Le rêve Luther King, la réalité Obama
REPORTAGE – Quarante-cinq après la mort de Martin Luther King, les Noirs américains se réjouissent de la réélection de leur président mais souffrent du chômage et peuplent les prisons. Reportage à Atlanta auprès des proches du pasteur assassiné.
Atlanta, Georgia, 501 Auburn Street. Cette maison, lorsqu’il la quitte, le 3 avril 1968, pour se rendre à Memphis, Tennessee, Martin Luther King ne sait pas qu’il n’y dormira plus, qu’il ne reverra plus sa femme ni ses enfants, qui se sont habitués à cet époux et père investi d’une mission aussi bien civique que divine. Il s’engouffre dans une voiture, direction l’aéroport. “MLK” est assassiné au Lorraine Motel à Memphis le lendemain. C’était il y a tout juste quarante-cinq ans.
On ne badine pas avec la mémoire du grand homme. Sa sœur Christine King Farris n’aime pas évoquer la mort de son frère, en dehors de l’office religieux qui se déroulera comme tous les ans depuis 1968, à la célèbre église Ebenezer, à quelques mètres de la modeste demeure de King. “Je suis l’aînée, mon frère était plus jeune de deux ans. Nous étions très proches, j’étais en totale admiration devant lui. Il était mon petit frère”, s’emporte presque cette femme de 83 ans qui continue à enseigner au Spelman College d’Atlanta. “J’irai à l’église mais je me réserve pour le mois d’août. Nous allons commémorer les cinquante ans de la marche sur Washington. C’est de là que tout est parti, que tout est devenu possible… Que nous avons eu un président noir, en 2008… Barack Obama.”
Que reste-t-il de la quête de l’égalité entre Blancs et Noirs?
La très riche avenue Auburn, qui, après avoir accueilli les cols bleus chez les Blancs, hébergea en ces temps de lutte ceux qui comptaient dans la communauté noire émergente, a pris du plomb dans l’aile depuis toutes ces années. Le centre Martin Luther King continue d’accueillir des hordes de visiteurs, mais la splendeur n’y est plus. Il y règne comme un air d’abandon, comme si l’argent allait ailleurs. Il suffit également de longer l’arrière du bâtiment pour très vite tomber sur un potager, des espaces défraîchis, des housing project (HLM), bref, un envers du décor violent qui vient s’ajouter aux gargotes, aux multiples lieux de culte et aux établissements de pompes funèbres qui occupent tout le début de l’avenue. En 1994, pourtant, un travail de réhabilitation a été entrepris permettant ainsi à des anonymes de venir réinvestir ce lieu chargé d’histoire. Comme Gladys, 57 ans. Gladys personne ne la connaît. Elle fait partie de ces millions d’anonymes qui, dans ces années là, ont aidé MLK dans sa conquête des droits civiques. Elle vit désormais au 488, juste en face du 501. Un retour qui s’est imposé comme une évidence : “Autant par respect pour le grand homme que par militantisme et parce que je suis aussi poussée par un souffle divin.”
Elle sait que King y recevait en permanence. Ralph Abernathy, proche partenaire de King, le pasteur Jesse Jackson, futur candidat malheureux à la Maison Blanche mais aussi d’autres grandes figures de la lutte pour les droits civiques, comme John Lewis, aujourd’hui réprésentant de la Géorgie au Congrès,ou encore Andrew Young, élu maire d’Atlanta en 1982.
“I have a dream”, clame Martin Luther King le 28 août 1963 à Washington. Que reste-t-il aujourd’hui de cette quête de l’égalité entre les Blancs et les Noirs? Sur l’autel du bilan, et malgré un président noir, les chiffres et autres statistiques ne penchent guère en faveur de feu le révérend. Les Noirs américains peuplent les prisons, cartonnent au top ten des catégories de la population au chômage. Et pour ceux qui ont réussi, le patrimoine reste vingt fois inférieur à celui des Blancs. Même si les compagnons de route de King ont abandonné la lutte au bas de l’échelle pour gagner (parfois) les hauteurs de l’establishment américain. La garde rapprochée de King a ainsi quitté Auburn et s’est regroupée, curieusement, sur un périmètre très serré, au sud d’Atlanta. “Il y a des maisons qui valent plus de trois millions de dollars, dans ce quartier exclusivement noir.”
“Il n’y a aucun progrès en ce qui concerne la pauvreté”
Mais tous restent vigilants, considérant que l’héritage de Martin n’a été qu’en partie achevé. Comme Andrew Young, qui était présent le jour de l’assassinat de son ami. Lui aussi s’est éloigné d’Auburn Street. À 80 ans, il continue à venir presque chaque jour à sa fondation, dans le downtown d’Atlanta. La lutte l’a conduit loin, très loin sur les traces de la gloire et des honneurs.
Ancien maire d’Atlanta, ex-membre du Congrès, ambassadeur auprès des Nations unies sous Jimmy Carter, le rêve de King n’est pas un vain mot pour cet homme qui a risqué sa vie dans les années 1960. “Dans son discours contre la guerre au Vietnam, King eut cette phrase prémonitoire : les bombes de cette guerre engendreront en Amérique, des bombes bien à nous : l’inflation et la pauvreté. Il avait raison. Aujourd’hui, le racisme n’a plus la même intensité, mais il n’y a aucun progrès en ce qui concerne la pauvreté, que ce soit en Amérique ou ailleurs. Et les Noirs restent les plus touchés.”
Autre compagnon de route, Joseph Lowery, révérend réputé pour ses dérapages verbaux et soutien de la première heure du jeune candidat Obama : “Le rêve de King a été en partie achevé. L’élection d’un président noir n’aurait jamais eu lieu sans le mouvement des droits civiques”. L’homme aujourd’hui a 91 ans. Il vit entouré de trophées, de photos de lui en compagnie de King ou d’Obama. Bien que très affaibli, le pasteur garde ses envolées lyriques et bibliques, dès qu’il s’agit de MLK. “Dieu avance de bien des façons. Il a mis King sur le chemin de Barack Obama. Sans l’un, il n’y aurait pas eu l’autre. D’ailleurs, en présence d’Obama, j’ai éprouvé le même frisson qu’avant, à l’époque de King, la conviction que quelque chose de grand allait arriver pour la cause nation des Noirs en Amérique.”
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