The US-Europe Free Trade Agreement: A Kiss of Death for the EU?

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L’annonce de discussions en cours sur un accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Europe est présentée comme le plus grand accord commercial bilatéral jamais négocié. Attention toutefois à ne pas laisser certains candides accepter le baiser de la mort contre quelques hypothétiques fragments de PIB saupoudrés au cours des prochaines décennies. Car, à y regarder de plus près, un tel accord comporte des risques majeurs.

Notre marché communautaire n’en sera pas “meilleur”

Tout d’abord, l’Europe – qui est un géant économique mais un nain politique – est déjà la zone commerciale la plus ouverte de la planète. Tous ses partenaires commerciaux, qui se posent officiellement en chantres de la sainte parole libérale, sont les premiers à prôner urbi et orbi un principe qu’ils ne s’appliquent pas à eux-mêmes : ils vantent les ouvertures de marchés chez les autres, tout en votant chez eux des lois protectionnistes plus ou moins déguisées pour préserver leurs propres intérêts (l'”American Buy Act” par exemple).

N’en déplaise donc à certains idéalistes, mais un tel accord ne rendra pas de notre marché communautaire “meilleur” (ie. plus libéral). Il permettra juste aux États-Unis de s’affranchir officiellement des plaintes récurrentes à l’OMC sur des sujets majeurs de discorde, qui ont ponctuées et pollués les relations commerciales transatlantiques depuis des lustres.

L’Europe ne doit pas être dupe de ce chant de sirène : un tel accord légitimera les aides d’États aux secteurs sélectionnés (et, à ce jeu là, seuls les États les plus riches gagneront). Et cela n’empêchera pas pour autant les États-Unis de continuer à privilégier en parallèle des accords bilatéraux avec leurs alliés européens, afin de créer des préférences intra-communautaires et d’alimenter une entropie permanente au sein de l’Union pour éviter des prises de positions trop radicales à leurs yeux, et éloigner encore plus la perspective d’une Europe unifiée parlant d’une seule voix.

Si la France continue, pour sa part, à ne se focaliser que sur la seule PAC, elle en viendra à abandonner des pans industriels entiers à une concurrence féroce et déséquilibrée (on parle de 60% des secteurs intégrés à cet accord) – et le résultat sera désastreux. Quid de l’aéronautique, de la défense, de l’énergie, de l’automobile, des technologies de l’information, de la finance, du luxe… ? Avec un tel accord, Airbus pourrait-elle vendre mieux ses ravitailleurs aux USA ? Cela semble fort peu probable. De même, quid de la nécessaire harmonisation des règles et normes : seront-elles alignés sur les moins-disants ?

Cet accord servirait surtout les États-Unis

Quant à imaginer qu’un tel accord montre un réel intérêt des États-Unis pour le vieux continent, et donnera un pouvoir accru à l’Europe dans les discussions avec les géants asiatiques, c’est là également une illusion : il n’est pas exclusif, car un accord équivalent est en cours de discussion entre l’Amérique du Nord et l’Asie – et celui-ci sera certainement plus stratégique pour eux.

L’intérêt pour les États-Unis de mettre l’Europe sous la coupe d’un tel accord pourrait en fait être double : créer une zone occidentale, destinée à faire contrepoids à l’Asie (et notamment la Chine), compte tenu des poids économique et commercial que représenterait un marché commun USA-Europe (47% de la production des richesses mondiales et 30% du commerce mondial) ; affaiblir l’OMC, voire à terme rendre caduc son existence, au travers de laquelle l’Europe pouvait légalement s’opposer aux subventions et aides déguisées américaines aux secteurs industriels.

Une autre arme redoutable de nos partenaires : la monnaie. Alors que l’Europe continue de prôner le dogme germanique de l’Euro fort, qui ne peut être profitable qu’à des pays très exportateurs, les États-Unis et la Chine utilisent sans hésiter les fluctuations de leurs monnaies, y compris en pratiquant des dévaluations déguisées, pour soutenir leur échanges commerciaux. Là encore, l’Europe sera donc très défavorisée. Car, soyons clairs : pour profiter du libre-échange, encore faut-il avoir quelque chose à échanger avec nos partenaires, c’est-à-dire quelque chose à vendre, de qualité et à un prix concurrentiel.

Au final, on s’aperçoit qu’un tel accord ne favorisera que les pays hyper-réactifs, sans dogme (si ce n’est celui de remporter des marchés) et qui disposent d’outils efficaces pour accroitre leur compétitivité. Et lorsque l’on compare les stratèges-roublards américains aux technocrates-dogmatiques européens, le doute n’est pas permis pour savoir qui va gagner.

L’UE doit adopter les mêmes stratégies que ses partenaires

A la lecture de cette vision fort ténébreuse des conséquences d’un tel accord, et si l’on considère qu’il s’agit d’un mouvement inéluctable, il faut que l’Europe accepte enfin de se remettre en question pour avoir une chance de survivre. Elle doit donc se décider une bonne fois pour toute à appliquer les mêmes stratégies que ses partenaires.

Cela passera obligatoirement par plusieurs remises en questions salutaires : il faut préserver les secteurs stratégiques de l’accord (domaines de la défense, de la souveraineté et à hautes valeurs ajoutées) ; il faut créer un “European Buy Act”, copie carbone de l’”American Buy Act”, pour se positionner à égalité avec les États-Unis et préserver les intérêts de nos entreprises ; il faut accepter que l’Euro soit au service de l’économie, et pas l’inverse.

La notion de fairplay n’existe pas dans le commerce : l’Europe doit donc s’adapter pour survivre, ou accepter le principe de son déclin progressif, qui la conduira à n’avoir qu’une industrie exclusivement composée de filiales étrangères, et un marché communautaire inondé de produits importés. L’Europe deviendra alors une zone commerciale discount, la vache à lait du monde. Il n’est pas certain que les créateurs de l’Europe avaient, il y a 60 ans, une vision aussi réductrice de l’Europe. Il serait peut-être temps de suivre leurs pas.

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