Vu des USA : “Rends ton flingue pour du cash et un jambon”
Seriez-vous prêt à échanger votre fusil d’assaut contre une place pour un concert de Beyoncé ? Voilà ce que propose Michael “Blue” Williams, célèbre manager de nombreux artistes de hip hop aux Etat-Unis à tous les détenteurs d’armes à feu New-Yorkais. Autre option : 200 dollars en cash, et une formation. Baptisée “Gun for greatness”, (armes contre noblesse), son programme cible les jeunes noirs et les latinos, premières victimes de la violence par arme à feu dans le pays. Il a d’ores et déjà levé 75.000 dollars et associé plusieurs artistes, comme Justin Timberlake ou Eminem à son projet.
Depuis le massacre de Newtown, en décembre dernier, où un jeune déséquilibré équipé d’un véritable arsenal a forcé la porte d’une école primaire, tuant 20 enfants et 6 adultes et mettant le pays en état de choc, les programmes de rachat d’armes, (“Buyback guns programs”) se sont multipliés.
100 à 200 dollars pour chaque arme récoltée
En Californie, un donateur anonyme a organisé deux opérations à Oakland et San Francisco, finançant un spot TV où il promettait 100 à 200 dollars pour chaque arme récoltée, garantissant qu’il n’y aurait aucune question sur l’origine des pièces rapportées. Toutes les armes ont été remises à la police qui les a détruites.
Deux frères du Massachussetts ont offert 2.600 dollars, de leur poche, pour récolter 26 armes, en hommage aux 26 victimes de la tragédie.
A Blytheville, dans l’Arkansas, un groupe de patrons locaux et de pasteurs ont proposé 75 dollars et… un jambon.
La plupart de ces initiatives sont organisées par les autorités locales, lasses d’attendre que républicains et démocrates, enlisés dans une opposition stérile, se mettent d’accord sur le sujet. Les uns proposent du cash, d’autres, des bons d’achat chez Amazon ou dans les grandes chaînes de distribution, des places de concert ou des tickets pour des grands évènements sportifs.
75 dollars et des tickets pour des matchs de baseball et de hockey
Fin décembre, les autorités du New Jersey ont ainsi proposé à tous les habitants de l’Etat un chèque de 100 dollars, contre chaque arme à feu qu’ils voudraient bien rapporter, là encore sans questions ni discussions sur leur origine et une garantie d’anonymat. Une fois que la police a vérifié si elles ont été volées ou perdues, les armes sont détruites et le métal recyclé.
A Camden, à côté de Philadelphie, l’une des villes les plus dangereuses des Etats Unis, 2.600 armes ont ainsi été rapportées en deux jours, un record, 700 d’entre elles sont illégales. Résultat similaire à Tampa, Floride, où les autorités, qui proposaient 75 dollars et des tickets pour des matchs de hockey et de baseball ont retrouvé une bonne vingtaine d’armes volées.
Comme toujours, ces opérations, très populaires, sont largement médiatisées, le procureur général annonçant fièrement son bilan, en posant devant une montagne d’armes de pistolets de carabines et de fusils d’assaut.
“Payback program”
A Trenton, le compté voisin, qui proposait jusqu’à 250 dollars pièce, selon le modèle et l’Etat, le succès de ce “payback program” a dépassé toutes les prévisions, faisant exploser le budget de 100.000 dollars qui lui était imparti. Pour honorer leurs engagements, les autorités ont proposé des bons d’achats dans des hypermarchés.
Depuis décembre, l’Etat du New Jersey a dépensé 1,2 million de dollars et récupéré plus de 9.000 armes. Une soixantaine d’opérations similaires ont été menées dans le pays, et une bonne quinzaine sont encore à venir. Elles ont permis de récolter 28.000 armes depuis la tragédie.
L’idée n’est pas neuve. Les premiers programmes ont été mis en place dans les années 60, et ressurgissent régulièrement après chaque tragédie. Ils ont été organisés à une très large échelle par deux fois en Australie, non pas sur la base du volontariat comme aux Etats-Unis, mais rendus obligatoire, et financée par une taxe de solidarité exceptionnelle. D’après la police de New York, qui organise régulièrement ce type d’opération depuis cinq ans, ces “buybacks programms” sont efficaces et contribuent à diminuer la violence.
Critiques récurrentes
Mais les critiques sont récurrentes. D’après Jon Vernick, un chercheur à l’Université John Hopkins, qui a travaillé sur le sujet, il n’y a aucune corrélation avérée entre les opérations “buybacks” et la baisse de la criminalité. D’après lui, cet argent public pourrait être mieux utilisé, à des fins préventives notamment. Il n’est pas le seul à dénoncer l’effet d’aubaine, soulignant que les armes rendues, vieilles et souvent hors d’usage, ne sont en général pas les plus dangereuses, et que ceux qui les rapportent, des femmes, et des personnes âgées, n’ont pas précisément le profil de ceux qui sont prioritairement ciblés…
Autre effet pervers, le marché parallèle : depuis le massacre de Newtown, les prix des armes à feu explosent. Collectionneurs et autres amoureux des armes à feu se précipitant en masse dans les magasins dans la crainte d’une régulation des pouvoirs publics. Résultat : on a vu dans certaines villes, comme à Seattle, des rabatteurs privés venir les poches pleines de cash, démarcher les candidats au “buyback” jusque dans la file d’attente…
Combien de vies sauvées ?
Difficile de dire au final combien de vies ces programmes ont sauvé. Combien de suicides, combien d’attaques à mains armées ont été évités. Ni de mesurer l’impact à long terme, la valeur éducative de ces programmes.
Il y a 310 millions d’armes à feu en circulation dans le pays. 4 millions de nouvelles armes qui arrivent sur le marché chaque année. Dans la seule ville de Chicago, il y a au moins un meurtre par balle chaque jour. Plus de 500 homicides l’an passé.
Faute de solution miracle, dans ce pays si viscéralement attaché à ce second amendement, peut-être faut-il juste s’en tenir a ce qu’a dit ce pasteur de l’Illinois: “Si ces programmes peuvent contribuer à sauver ne serait-ce qu’une vie, ça vaut la peine de le faire. Imaginez juste que ce soit la votre”.
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