Washington piqué par le «frelon» coréen
Par Laure Mandeville
La menace de guerre atomique lancée par la Corée du Nord n’est pas prise au pied de la lettre. Mais les Américains se demandent si l’on n’a pas dépassé un seuil de tension.
De notre correspondante à Washington,
Cela fait maintenant soixante ans que le «frelon» nord-coréen vient régulièrement bourdonner aux oreilles du géant américain, multipliant les déclarations belliqueuses et les provocations armées à l’encontre de la Corée du Sud, alliée stratégique de Washington – qui garantit sa sécurité depuis la fin de la guerre de Corée en 1953.
«Un menuet très rodé», note l’ancien ambassadeur américain Chas Freeman, expert de l’Asie et du Moyen-Orient. À chaque fois, Pyongyang lance une provocation, à laquelle Washington et Séoul répondent par des manœuvres militaires, tout en appelant la Corée du Nord à abandonner sa posture agressive en échange de la fin de l’isolement. À chaque fois, Pyongyang finit par reculer, jusqu’à la prochaine flambée d’agressivité
« Notre peur, c’est qu’il ne maîtrise pas les règles du jeu et les limites »
Michele Flournoy, ex-secrétaire adjointe à la Défense dans le gouvernement Obama
Mais, depuis que le régime communiste nord-coréen a réussi trois essais nucléaires et mis en orbite un satellite début 2013, l’inquiétude se fait plus tangible à Washington – où, obsédé par la bombe nucléaire iranienne, on avait presque oublié Pyongyang… Les menaces récentes de la Corée du Nord sur l’imminence d’attaques, possiblement nucléaires, contre le territoire américain, notamment Guam et Hawaï, ont beau ne pas être prises au pied de la lettre, les Américains se demandent si l’on n’a pas dépassé un seuil de tension. «Ils ont une capacité nucléaire, ils ont la capacité de lancer des missiles… Les actions qu’ils ont prises représentent un danger réel et manifeste», a tranché mercredi le secrétaire à la Défense, Chuck Hagel.
La Maison-Blanche exclut que la Corée du Nord ait aujourd’hui la capacité de frapper le territoire américain. «Cette capacité n’existe pas, en tout cas pas encore», tranche Michele Flournoy, récemment encore secrétaire adjointe à la Défense dans le gouvernement Obama. Certains experts jugent que la Corée du Nord pourrait disposer de missiles intercontinentaux et qu’elle serait capable d’équiper de têtes nucléaires d’ici à cinq ans. Ce que l’on craint en revanche dans l’immédiat, c’est un conflit entre les deux Corées qui exploserait par «accident», sous l’effet d’une accumulation de provocations et de ripostes mal contrôlées.
Bombardiers stratégiques et batteries antimissiles
La personnalité du nouveau leader nord-coréen, Kim Jong-un, troisième d’une triste dynastie familiale de dictateurs paranoïaques, est vue comme un risque aggravant. «Notre peur, c’est qu’il ne maîtrise pas les règles du jeu et les limites», note Michele Flournoy. Le risque est d’autant plus grand, que «la Corée du Sud est devenue un acteur plus indépendant de l’Amérique», note l’ambassadeur Chas Freeman. Or, Séoul perd patience. L’attaque menée par un sous-marin nord-coréen contre un bateau sud-coréen, qui a fait 46 morts en 2010, reste gravée dans les esprits. Si la nouvelle présidente Park Geun-hye, que Pyongyang cherche à tester, a pour l’instant fait preuve de sang-froid, elle a aussi donné autorisation à ses militaires de riposter à toute nouvelle provocation. «Notre crainte est que Séoul se laisse entraîner dans un conflit», résume Chas Freeman.
Pour empêcher un tel scénario, Washington multiplie les gestes militaires destinés à rassurer à la fois sa propre opinion publique et son allié sud-coréen. Des bombardiers stratégiques sont allés survoler la péninsule pour dissuader toute attaque nord-coréenne et montrer que l’Amérique reste totalement engagée aux côtés de Séoul. Dans le même but, des batteries antimissiles vont être déployées dans les prochains jours sur la base militaire américaine de Guam dans le Pacifique. Le secrétaire d’État, John Kerry, sera à Séoul et à Pékin la semaine prochaine.
Sur le fond, les Américains peinent toutefois à trouver la bonne réponse qui permettrait d’avancer sur un conflit bloqué depuis 60 ans. «La réalité est que la coexistence d’une Corée du Sud prospère, reconnue et respectée, avec une Corée du Nord pauvre et dirigée par des dictateurs dont la survie est liée à la perpétuation de l’isolement du pays, devient de plus en plus intenable», dit Chas Freeman. La Chine a tenté de trouver une solution en cajolant son allié du Nord et en l’appelant mollement à changer. Les Américains ont au contraire choisi les sanctions et l’isolement. Mais «en tirant dans des sens opposés, Washington et Pékin ont tous deux échoué totalement», constate l’ambassadeur Freeman.
La solution, encore bien incertaine, pourrait venir d’un changement d’humeur des Chinois, qui donnent des signes d’impatience, veut-on croire à Washington. Nerveuse à l’idée de voir Pyongyang acquérir l’arme nucléaire, la Chine a amorcé une ouverture vers Séoul, devenu un partenaire commercial important. Washington espère capitaliser sur ce retournement pour faire front commun avec la Chine et ramener les Coréens du Nord à une forme de raison. Mercredi, Chuck Hagel avait l’air optimiste, en rapportant «l’excellente conversation téléphonique» qu’il avait eue avec Pékin.
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