La mise à l’index par les États-Unis de dix-huit fonctionnaires russes de la liste Magnitski fait craindre des représailles.
Les États-Unis et la Russie sont une nouvelle fois entraînés dans un cycle de représailles au parfum de guerre froide. Le département d’État américain a publié vendredi soir une liste de dix-huit fonctionnaires russes soupçonnés par Washington d’avoir violé les droits de l’homme. Ces derniers seront interdits de séjour sur le territoire américain et verront leurs avoirs financiers gelés. Il s’agit d’une étape cruciale dans la guérilla diplomatique opposant les deux pays depuis la mort du juriste Sergueï Magnitski, dans une prison russe, en novembre 2009. Inculpé de fraude fiscale, ce collaborateur du fonds d’investissement Hermitage Capital aurait été victime de mauvais traitements – qui se seraient révélés fatals – alors qu’il avait mis au jour un vaste schéma de corruption portant sur 230 millions de dollars, impliquant l’administration fiscale russe et des membres des services de sécurité intérieure. Les inculpés avaient tous été blanchis par la justice russe.
C’est cette «faute» judiciaire que le gouvernement américain, sous la pression du Congrès, entendait corriger. À l’origine, le pouvoir législatif américain avait proposé à l’administration une liste noire de 280 noms, incluant notamment de hauts responsables russes. Mais soucieux de ne pas envenimer les liens avec le Kremlin, le département d’État s’en est finalement tenu à un registre restreint. Y figurent notamment deux enquêteurs en chef du ministère de l’Intérieur, Artem Kuznetsov et Pavel Karpov, accusés d’avoir fabriqué de toutes pièces une fausse affaire fiscale contre Sergueï Magnitski afin de mieux cacher les turpitudes de leurs collègues, responsables, pour leur part, des détournements de fonds incriminés. Parmi ces derniers, aujourd’hui sanctionnés, figure une responsable de l’administration fiscale, Olga Stepanova, accusée d’être au centre de l’entreprise de malversation. En revanche, Alexandre Bastrikin, le chef du Comité d’enquête russe, structure judiciaire et policière directement inféodée au Kremlin, a été écarté de la liste. Ce dernier est un ancien compagnon d’études de Vladimir Poutine. De plus, Washington a sanctionné le présumé tueur d’un militant hostile au président tchétchène, Ramzan Kadyrov. Selon le New York Times, ce dernier, soupçonné d’avoir commandité des meurtres, serait également considéré non grata par les autorités américaines. Mais tout comme d’autres officiels russes de haut rang, il aurait été placé dans une liste strictement confidentielle, afin de ne pas heurter Moscou. Dans le futur, la liste pourrait s’enrichir de nouveaux noms, a indiqué une source diplomatique à Washington.
Une «contre-liste» de citoyens américains
Aussitôt connue l’identité des «dix-huit», Moscou a fait savoir que ces derniers n’exerçaient plus les fonctions pour lesquelles ils étaient poursuivis. Une manière indirecte de reconnaître leur culpabilité. Tout en notant la volonté d’Obama de «ne pas aggraver la crise politique avec Moscou», le président du comité des Affaires étrangères de la Douma, Alexeï Pouchkov, a annoncé la publication dans les prochains jours, en guise de représailles, d’une «contre-liste» de citoyens américains, également soupçonnés de violations des droits de l’homme, et potentiellement indésirables sur le sol russe. Cette liste sera «proportionnée» à l’offensive américaine, a précisé la Douma, qui entend être à la pointe du combat. Des fonctionnaires et juges américains liés à la gestion controversée de la prison de Guantanamo ou à l’incarcération aux États-Unis de l’ancien trafiquant d’armes russe Viktor Bout pourraient être sanctionnés.
«Toute publication de liste aura sans aucun doute un effet très négatif sur les relations bilatérales», a prévenu le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, tout en soulignant que ces dernières avaient un important «potentiel de développement». Ironie du calendrier, le conseiller à la sécurité nationale, Tom Donilon, sera en visite à Moscou les 14 et 15 avril, avec, dans les mains, une lettre de Barack Obama invitant Moscou à poursuivre la politique de «redémarrage» du dialogue, déjà initiée par le chef de la Maison-Blanche en 2009. Il doit notamment y rencontrer le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Nikolaï Patrouchev. «Le moment est mal choisi», a déploré le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov.
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