Éditorial du “Monde”. Cela pourrait s’appeler une séance de “gavage” forcé. Elle est destinée à empêcher la mort d’un détenu en grève de la faim. Elle est infligée à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit – parce qu’elle a aussi pour objet de punir le prisonnier.
Il est attaché à une chaise, bras, jambes, épaules sanglés. Un tube est inséré dans le nez, relié à l’estomac ; la tête est retenue en arrière. Une dose de liquide vital est administrée. Et le malheureux, un homme, souvent déjà très affaibli, est ensuite reconduit dans sa cellule. Jusqu’au prochain “gavage” chimique.
L’objectif est au moins aussi politique qu’humanitaire. Il ne faut pas qu’un détenu réussisse à se suicider en se laissant mourir de faim. Ce serait choquant, déshonorant pour le pays en charge d’une telle prison, n’est-ce pas…
Car cela se passe dans un établissement américain, sur la base maritime dont disposent les Etats-Unis sur l’île de Cuba, là où, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, ils ont installé la prison de Guantanamo.
Depuis douze ans perdure ce scandale que tolère Washington : l’existence d’un lieu de non- droit, un “trou noir” juridico-légal, où sont enfermés des hommes qui, pour la plupart, n’ont été ni jugés ni même inculpés de quoi que ce soit.
Supposés terroristes, proches de terroristes, parents de terroristes, familiers de terroristes, “vendus” par des terroristes, dénoncés comme terroristes pour de l’argent ou tout autre motif – bref, épinglés à tort ou à raison dans la gigantesque traque lancée par les Etats-Unis au lendemain des attentats du 11-Septembre.
L’homme nourri de force depuis le 22 mars, et dont Le Monde rapporte aujourd’hui l’histoire, s’appelle Nabil Hadjarab. Il est à Guantanamo depuis 12 ans, ni jugé ni inculpé, déclaré “libérable” par les autorités américaines, mais toujours maintenu prisonnier.
Il fait partie de ces malheureux pour lesquels le gouvernement de George W. Bush, alors au pouvoir, a inventé une catégorie “juridique” contraire à toutes les conventions : “combattant ennemi illégal”. Celui-ci peut être privé de liberté sans fin – sans jamais savoir de quoi demain sera fait.
Ils sont encore 166 dans cette situation à Guantanamo. Plusieurs d’entre eux ont entrepris une grève de la faim. Certains protestent contre le fait que leur Coran serait l’objet de “fouilles”. Mais, selon leurs avocats, la plupart sont à bout, épuisés de ne rien savoir de leur sort, ayant perdu tout espoir de sortir de “Gitmo”.
Plusieurs dizaines d’entre eux ont été déclarés “libérables” donc “transférables” dans leur pays d’origine. Seulement les Européens n’ont guère fait d’efforts pour accueillir les ex-détenus de Guantanamo qui pouvaient prétendre venir s’installer sur le Vieux Continent. Quant aux ressortissants de pays du Grand Moyen-Orient, ils savent que, de retour à domicile, ils risquent souvent le pire. Le piège de “Gitmo” est total.
Président, et professeur de droit, Barack Obama avait promis d’en finir avec ce scandale. Il n’a pas tenu parole. Il s’est laissé intimider par tous ceux qui, à Washington, privilégient les impératifs de sécurité sur toute autre considération. Il renie les Pères fondateurs de la République américaine. Eux n’entendaient pas sacrifier la justice à la sécurité.
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