Afghanistan and Declared-Defeat Syndrome

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L’Afghanistan et le syndrome de la débâcle annoncée

Après plus de dix ans de présence et 642 milliards de dollars de dépenses, les troupes américaines quitteront l’Afghanistan l’année prochaine sur un échec partiel. La reprise de la guerre civile est en effet loin d’être exclue.

Il existe en Afghanistan comme un « syndrome de 2014 », le sentiment que, si les forces étrangères se retirent, la situation retournera à ce qu’elle était dans les années 1990, c’est-à-dire à un affrontement entre différents groupes ethniques.

En 2014 l’Amérique aura en effet retiré l’essentiel de ses troupes d’Afghanistan. Plus d’une décennie d’engagement dans ce pays d’Asie centrale lui aura coûté plus de 642 milliards de dollars, selon le Center for Strategic and International Studies (CSIS), un think tank de Washington. Le président Obama s’est engagé à ce retrait. Mais quelle situation les Etats-Unis – et avec eux l’Otan qui s’est fortement engagée dans ce conflit – laisseront-ils derrière eux ? Il s’agit, dans l’histoire de l’Otan, de la première intervention qui se solde par ce que l’on ne peut décrire que comme un demi-échec. Le risque d’un effondrement du régime sur lui-même et d’un retour à la guerre civile n’est-il pas si grand que de nombreux Afghans, dans leurs têtes au moins, se préparent déjà à l’exil ?

Le dilemme afghan est d’une tragique simplicité. Pour des raisons politiques (l’opinion publique y est hostile) et financières (le coût en est trop élevé et les progrès trop minces) l’Amérique ne peut et ne veut rester indéfiniment en Afghanistan. Mais le régime en place est trop faible et corrompu pour pouvoir faire face, seul, aux défis auxquels il est confronté. Il n’y a rien en cela de bien nouveau. Le fin connaisseur de la région qu’est le Britannique William Dalrymple nous rappelle dans son dernier livre – « Return of a king : the Battle for Afghanistan, 1839-42 » (Retour d’un roi : le Combat pour l’Afghanistan, 1839-1842) – à quel point les fantômes du passé afghan éclairent toujours les réalités du présent. Soutenir un leader politique, tel que Shah Shuja ul-Mulk comme le firent les Britanniques hier, ou tel qu’Hamid Karzai comme le font, avec beaucoup d’ambiguïté, les Etats-Unis aujourd’hui, c’est le discréditer aux yeux de son peuple. Personne n’aime, dit-on, les « libérateurs bottés », mais personne n’accepte de gaieté de coeur non plus le chef soutenu par l’étranger. Le peuple afghan est fier et il a une mémoire longue qui inclut son ressentiment de la période coloniale et sa haine de « l’autre dominateur ».

Comment dépasser cette contradiction fondamentale : ils ne veulent pas être sauvés par nous et ils ne peuvent se sauver seuls ? Ils nous en veulent de les abandonner et ils sont humiliés de ne pouvoir se « tenir debout seuls ». Prendre ses distances avec Karzai et son système corrompu c’est le fragiliser de manière irresponsable, compte tenu de l’absence d’alternative claire. Le soutenir avec force, c’est le délégitimer aux yeux d’une grande partie de son peuple.

Le problème de l’Afghanistan n’est qu’une illustration parmi d’autres d’un problème qui hante le monde occidental depuis des siècles. Comment faire le bonheur d’autrui sans, lui sinon contre lui ? Notre connaissance et notre compréhension de « leur » histoire et de « leur » culture sont trop superficielles et nos objectifs trop contradictoires. Quand elle commence à intervenir indirectement en Afghanistan dans les années 1980 – après le Royaume-Uni et la Russie -, l’Amérique entend d’abord affaiblir l’URSS, quitte à s’allier à des extrémistes religieux. Quand elle intervient directement au lendemain du 11 Septembre 2001, elle le fait pour renverser un régime qui a permis que son territoire serve de sanctuaire aux terroristes.

Ce questionnement va bien sûr au-delà de l’Amérique. Quand nous intervenons pour changer le régime en place, comme en Afghanistan, ou pour s’opposer aux conséquences d’un Etat failli comme au Mali, nous souhaitons avec force que ces pays se rapprochent le plus possible de « Nous », c’est-à-dire des sociétés tolérantes, ouvertes et démocratiques, respectueuses de l’état de droit. Et quand nous échouons, ce qui est dans la grande majorité des cas inévitable, car nos objectifs sont trop ambitieux, nous nous lassons très vite et, animés par la culture de « zappeurs » qui est la nôtre, nous voulons passer à un autre sujet. Au fond nous ne nous intéressons à eux qu’à travers nousmêmes. Mais les Etats, et c’est normal, n’ont, pas plus que les entreprises, vocation à jouer les « mère Teresa ».

La tentation est forte aujourd’hui à Washington de déclarer victoire et de se retirer comme le firent les Etats-Unis en 1973 au Vietnam. Deux ans plus tard, Saigon tombait de la manière la plus spectaculaire qui soit, sous le feu des caméras du monde entier. Certes les talibans aujourd’hui ne sont pas l’équivalent de ce qu’étaient les Vietcong hier et le Pakistan n’est pas la Chine. Mais quels que soient les progrès qui ont pu être réalisés en Afghanistan, et ils existent en matière d’éducation et de traitement des femmes en particulier, ces conquêtes sont pour le moins fragiles et en rien irréversibles.

Peut-on aller jusqu’à parler d’une décennie perdue pour l’Afghanistan sous le règne d’Hamid Karzai ?

Tant de vies ont été sacrifiées, tant d’argent a été dépensé. Et tout cela pour une société qui n’a que peu progressé, non seulement par rapport à nous, mais aussi par rapport à elle-même. Ce qui est certain, c’est que le bilan de ces dix dernières années en Afghanistan est pour le moins mitigé.

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