Drone Visit to Washington

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D’un côté les Français se demandent s’ils vont bientôt devoir jouer eux-aussi les cow-boys du ciel, suivant les Américains dans les assassinats au drone. De l’autre, ces mêmes Américains ne semblent guère pressés de céder leurs chers drones à ces imprévisibles Français…

Entre ces deux feux, on peut comprendre que notre ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian n’était pas de très bonne humeur ce vendredi soir, lors de sa rencontre avec les journalistes français et américains. « Mais je ne voulais pas de conférence de presse ! » a-t-il grogné d’entrée, découvrant notre aimable petite assemblée.

Après deux questions sur la Syrie (qui ont permis de réexposer la position française dans toute sa clarté : on remet en question l’embargo européen sur les livraisons d’armes à la Syrie mais on n’est pas prêt à livrer des armes aux opposants), le ministre a fait savoir qu’il ne voulait plus parler de ce pays. Libération s’est donc dévoué pour poser la question qui agite l’internet depuis quelques jours déjà: a-t-il profité de cette visite à Washington pour sceller l’achat de drones américains (il est question de deux Reapers de surveillance, mais ces mêmes Reapers peuvent aussi porter des missiles et donc tuer à distance), à quel prix, et pour quoi faire exactement ? Selon le magazine Air et Cosmos, premier à avoir révélé l’information, l’accord aurait bel et bien été conclu.

Et bien pas vraiment, a répondu le ministre : « Nous avons des discussions avec les Américains et elles se poursuivent ». A en juger par la suite de ses réponses, elles se poursuivent même un peu trop: “parallèlement”, les Français discutent aussi avec les Israéliens, a soudain lancé Le Drian. “On discute avec les deux parce qu’on en a besoin”. Américains et Israéliens sont les seuls à produire ce type de drones dit « Male » (moyenne altitude longue endurance). Jusqu’à présent, les Israéliens n’utilisent leurs Heron TP que pour la surveillance mais ils pourraient bientôt faire la démonstration de leurs capacités de frappe, en cas de guerre contre l’Iran.

D’après ce qu’on a pu grappiller dans les rangs de la délégation française, la négociation avec les Américains achoppe sur deux points: d’abord le Congrès doit donner son aval à ce type d’exportation de matériel sensible, même à un allié comme la France, pleinement réintégré dans l’OTAN et qui vient encore de faire ses preuves au Mali. Par ailleurs les Américains ont eux-mêmes grand besoin de leurs mouchards et n’ont pas vraiment de rab à céder.

Après les récents services rendus par la France à la lutte internationale contre le terrorisme, tout cela fait grincer des dents côté français : « Même les Italiens ont eu des Reapers ! » glisse une source tricolore. Les Britanniques aussi ont pu en acheter 10, depuis des années déjà.

A supposer qu’elle finisse par les obtenir, que ferait donc la France de ses Reapers? Exclut-elle vraiment de s’en servir pour des frappes ? « Mais je ne parle que de drones d’observation ! Je vous l’ai déjà dit trois fois ! Est-ce que je dois le répéter une quatrième fois ? » Là, on a l’impression d’avoir un peu énervé le ministre. Avant de partir, c’est lui-même qui revient à l’assaut, proposant une « dixième” explication. Plus souriants, ses conseillers en profitent pour nous renvoyer à la lecture du tout nouveau Livre Blanc de la Défense, qui prévoit dans l’immédiat l’acquisition de petits drones tactiques et de ces « Male », mais seulement donc pour l’observation. Plus tard seulement, « à l’horizon 2035 », le ministère de la Défense français envisage le développement, avec les Britanniques, de « drones de combat » qui eux pourront bel et bien tuer. L’idée est que ces futurs drones de « nouvelle génération » affronteront des adversaires militaires, notamment des avions, et pas seulement des djihadistes ou des civils qui se trouvaient là au mauvais moment, comme le font actuellement les Américains avec leurs Reapers. En résumé : la France tuera peut-être un jour avec ses drones, mais ils seront européens et respecteront le droit de la guerre. Pas de quoi s’énerver.

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