Mark Zuckerberg est-il allé trop loin ? En créant mi-avril un groupe de pression politique bipartisan, “FWD.us”, censé défendre la réforme de l’immigration, le jeune patron de Facebook s’est aventuré sur un terrain pour le moins sensible. Un mois et demi après, il en paie déjà les conséquences.
L’objet de la controverse, des campagnes de pub financées par FWD.us, qui défendent la construction du très controversé oléoduc géant Keystone XL, entre l’Oklahoma et le Texas, plaident pour des forages pétroliers dans une réserve naturelle de l’Alaska ou encore fustigent l’Obamacare, réforme de la santé emblématique du premier mandat de Barack Obama.
A priori, rien à voir avec la loi sur l’immigration. Cette stratégie vise en fait à soutenir certains parlementaires républicains, dont la réélection en 2014 est menacée, et s’assurer ainsi qu’ils voteront bien en faveur du projet de loi. Celui-ci doit passer en juin devant l’ensemble du Sénat, aux mains des démocrates, avant d’être présenté à la Chambre des représentants, majoritairement républicaine.
Si Zuckerberg met tant d’énergie à défendre cette réforme, c’est qu’il souhaite “attirer les gens les plus talentueux et les plus travailleurs, quel que soit l’endroit où ils sont nés”, comme il l’expliquait dans une tribune du Washington Post mi-avril. Pour ce faire, il veut que plus de visas de travail soient accordés aux ingénieurs, programmeurs et autres petits génies de l’informatique venus de l’étranger, formés aux Etats-Unis et finalement contraints de retourner dans leur pays d’origine.
Le chef du réseau social au milliard d’utilisateurs n’est pas le premier à attirer l’attention sur cet état de fait. En 2007, la fondation Kauffmann, une association de soutien aux entrepreneurs soulignait que “plus d’un million de travailleurs immigrants qualifiés, dont des scientifiques, des ingénieurs (…) sont en compétition pour 120 000 visas de résidents américains permanents chaque année, créant un déséquilibre important susceptible d’alimenter une ‘fuite des cerveaux inversée'”. Ainsi, entre 1995 et 2005, 52 % des start-up créées dans la région comptaient parmi leurs fondateurs une personne étrangère, contre 44 % depuis.
De leur côté, les syndicats n’ont pas la même version des faits : ils accusent les géants de la Silicon Valley de vouloir “importer” des personnes peu qualifiées, prêtes à travailler pour de bas salaires.
“REALPOLITIK”
Quoiqu’il en soit, l’enjeu est de taille. Et les grandes figures de la Silicon Valley – comme le fondateur de Microsoft, Bill Gates, le président de Google, Eric Schmidt, ou encore la patronne de Yahoo!, Marissa Mayer –, qui font partie des soutiens de FWD.us, l’ont bien compris.
Mais la forme de lobbying choisie par Zuckerberg est aujourd’hui fortement contestée. Ironie du sort, ce sont ses pairs qui mènent la fronde sur les médias sociaux, comme le souligne l’agence Bloomberg. L’un des premiers à avoir ouvert les hostilités est Josh Miller, créateur de la plateforme sociale Branch et nouvelle coqueluche des réseaux, qui n’hésite pas à dénoncer des “méthodes de lobbying douteuses” et un manque de transparence concernant “les valeurs sous-jacentes et les intentions à long terme de l’organisation”… mais aussi concernant son financement, puisque que le FWD.us n’est pas obligé de révéler le nom de ses donateurs. Pour le célèbre blogueur spécialiste des technologies Anil Dash, ce n’est ni plus ni moins que de la “realpolitik”.
Début mai, un porte-parole du groupement a répondu que FWD.us avait “conscience que tout le monde ne sera pas toujours ravi de [sa] stratégie”, tout en réaffirmant qu’il restait “déterminé à soutenir des solutions bipartisanes qui favoriseront l’économie de la connaissance”.
Rien n’y fait : les attaques continuent de plus belle. Vinod Khosla, ancien PDG de l’éditeur de logiciels Sun Microsystems, regrette ainsi que FWD.us défende sa position au lieu d'”admettre son erreur”.
En conséquence, certains acteurs du secteur ont déjà tourné le dos à Mark Zuckerberg, à l’instar du co-fondateur de Paypal, Elon Musk, ou de David Sacks, fondateur du réseau social Yammer. D’autres, comme les groupes progressistes The Sierra Club et Democracy for America, ont préféré s’attaquer à la source en mettant fin à leur contrat publicitaire sur Facebook.
Avec un certain sens de la dérision, plusieurs organisations environnementales et pro-démocratie (League of Conservation Voters, MoveOn.org…) se sont regroupées pour critiquer FWD.us via… une page Facebook (qui compte 20 000 fans) et un Tumblr invitant Marissa Mayer à “laisser tomber” le lobby, rapporte Bloomberg. Et de citer Becky Bond, vice-présidente du groupe progressiste CREDO : “Ils ont bâti leur carrière sur les communautés de millions d’utilisateurs. Nous voulons simplement nous assurer que ces utilisateurs savent ce qu’ils font”.
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