Three American Views on World Security

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Trois regards américains sur la sécurité du monde

Par Julien Damon | 14/06 | 06:00

Un sociologue, un universitaire et un ancien secrétaire d’Etat à la Défense livrent leur vision sur un thème majeur outre-Atlantique comme en France.

Policier new-yorkais devant le Ground Zero Memorial, dressé en hommage aux victimes des attentats terroristes du 11 septembre 2001.

Avant même les questions soulevées par le scandale du logiciel espion Prism, le thème de la sécurité figure depuis des décennies au premier rang des préoccupations et des polémiques aux Etats-Unis. Trois ouvrages américains récents se penchent sur l’efficacité des politiques de sécurité. De quoi s’aérer, mais aussi de quoi s’inspirer ou s’inquiéter.

Sécurité déshumanisée

Harvey Molotch, professeur de sociologie à New York, s’inquiète des dérives sécuritaires post-11 septembre 2001. Attention, il ne verse pas dans la dénonciation lyrique des supposées dérives sécuritaires et liberticides. Il s’inquiète, plus largement, de la déshumanisation, au nom de la lutte contre l’insécurité, des espaces et équipements publics. Une déshumanisation qui alimente les peurs et les angoisses. L’intensification technologique des rames et quais de métro permet d’insister en permanence sur l’insécurité, ce qui distille l’idée d’une menace généralisée et permanente. La sophistication des points de contrôle (dans les aéroports notamment) engendre de la congestion et de l’inquiétude.

Si toutes ces orientations des politiques de sécurité ne provoquent pas l’insécurité, elles contribuent à une dégradation du bien-être. Molotch ne fait pas seulement dans l’observation, qui n’a rien de naïve. Il propose que tout un chacun soit plus investi dans la qualité de la vie quotidienne, sans délégation excessive à des machines et des corps professionnels spécialisés. Il insiste sur les ambiguïtés et difficultés des mesures de sécurité : faut-il mettre à disposition les données (au risque d’être plus aisément attaqué) ? quelles sont les justes priorités quand il s’agit de protéger des populations et des territoires ? Molotch prête certainement le flanc à la critique pour une vision trop optimiste de l’humanité (l’antidote à la peur serait, selon-lui, la beauté). Mais il met bien l’accent sur les vertus d’une sécurité plus civilisée (impliquant tout un chacun) par rapport à une sécurité militarisée. Notant que l’on repère plus facilement un requin dans une mer calme que dans une mer agitée, il plaide pour un design apaisant et l’implication civique. Concrètement, nombre d’experts s’accorderont sur ses idées de mieux ventiler, éclairer et réguler les espaces publics (avec du personnel). A condition toutefois que l’on trouve le modèle économique d’une telle option.

Voyage linguistique

Professeur de littérature à Harvard, John Hamilton n’est pas un expert de la sécurité. Mais son étude érudite le fait compter comme éminent spécialiste du mot sécurité. Son voyage linguistique part du constat de la proéminence du terme : forces de sécurité, mais aussi cybersécurité, sécurité sociale, sanitaire, civile, etc. Il ne se lance pas dans une vague méditation sémantique, mais dans une analyse fouillée qui va de la poésie grecque antique à Heidegger en passant par des variations plus contemporaines. Si l’ensemble n’est certainement pas d’une remarquable accessibilité, on peut tout de même tirer certaines leçons. Si « sé-curi-tas » désigne un état de séparation vis-à-vis des problèmes, il s’ensuit que la sécurité perpétuelle ne peut être que d’ordre divin. Et quand on connaît, un peu, les dieux, on ne peut tout de même pas être totalement rassuré sur la tranquillité et la stabilité. La sécurité totale n’est donc ni de ce monde ni d’un autre. Hamilton signale, à sa manière, qu’une vie pleinement humaine ne saurait être parfaitement sécurisée, au risque d’être totalement aseptisée.

Expérience de la Défense

Harold Brown ne se pique ni de sociologie ni d’étymologie. Physicien de formation, il fut, notamment, secrétaire à la Défense sous Jimmy Carter. Dans cet ouvrage de mémoires, salué par Carter et Clinton mais aussi par Madeleine Albright et Henry Kissinger, il rappelle ses états de service (investissements nucléaires, guerre du Vietnam, révolution iranienne, guerre froide, provocations – déjà – de la Corée du Nord, etc.). Loin de considérations trop philosophiques, il retrace un panorama de défis complexes quand le prix des erreurs pouvait être extrêmement élevé. A la tête d’une administration considérable (2 millions de militaires et 1 million de civils en 1977), il estime que le point essentiel, pour la sécurité, est de ne pas se bureaucratiser. Et de toujours se fixer des priorités.

Sur le point sensible des moyens, il considère que défendre les Etats-Unis, c’est d’abord défendre le budget de la défense. Et il écrit que les coupes budgétaires peuvent toucher les muscles sans réduire vraiment le gras (une formule qui peut faire mouche…). De manière plus classique, il plaide en faveur du complexe militaro-industriel comme clef de la stimulation économique. Au terme de son passionnant survol de l’histoire récente de la sécurité américaine, il se dit inquiet face à une Amérique qu’il voit aujourd’hui divisée. Or, selon ses termes, c’est la cohésion qui est la meilleure des protections.

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