Barack Obama n’est pas le monstre liberticide que certains veulent présenter”
Le Monde.fr | 07.06.2013 à 10h02 • Mis à jour le 07.06.2013 à 11h20
Propos recueillis par Hélène Sallon
Dès son premier mandat en 2008, le président américain Barack Obama avait promis de s’inscrire en rupture de la guerre contre le terrorisme initiée par son prédécesseur, George W. Bush, après les attentats du 11 septembre 2001. Depuis, les accusations se multiplient contre les promesses non tenues d’Obama, à l’instar de la fermeture de la prison de Guantanamo, les dérapages de son administration dans l’usage des drones, et la succession des affaires révélant des atteintes aux libertés civiles au nom de la sécurité nationale. Dernières en date, les affaires concernant les saisies téléphoniques auprès de l’opérateur américain Verizon et la surveillance des serveurs de neuf géants américains de l’Internet par les services de renseignement.
Vincent Michelot, historien des Etats-Unis à Sciences-Po Lyon, tire les enseignements de ces affaires au regard de la gestion de la politique en matière de sécurité nationale et de lutte antiterroriste par l’administration Obama.
Que penser du nouveau scandale relatif à la saisie des relevés téléphoniques des abonnés de Verizon par les renseignements américains ?
Vincent Michelot : Ce scandale n’est pas nouveau aux Etats-Unis. Lors de la première administration Bush, le New York Times avait révélé, en 2005, que son administration avait utilisé de manière très créative le tribunal fédéral relatif au renseignement étranger [Foreign Intelligence Surveillance Court, FISC, un organisme créé par le Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA) de 1978], une institution où les juges ont pour seule fonction d’autoriser les écoutes téléphoniques. Le président Bush avait interprété ces pouvoirs en tant que chef des armées de façon extensive, estimant ne pas devoir demander l’avis de ce tribunal pour autoriser des écoutes.
La différence entre ce scandale et celui qui concerne aujourd’hui la société Verizon est révélatrice de la différence de méthode entre les administrations Bush et Obama. Le président Obama passe, lui, par la voie normale, légale — une loi de 1978— pour demander des écoutes téléphoniques ou collecter des relevés téléphoniques. On peut se demander en quoi cette loi qui autorise une pratique aussi invasive pour les libertés civiles est légitime, mais elle existe et Barack Obama l’applique.
Comment l’administration Obama peut-elle justifier l’usage de cette loi invasive pour les libertés civiles ?
La position de Barack Obama est extrêmement délicate. Depuis le début de son mandat, il est attaqué par l’opposition conservatrice, qui lui reproche ne pas être assez en pointe sur la lutte antiterroriste. Il y a également eu des attaques concernant des fuites de son administration sur des dossiers sensibles, comme l’assassinat de Ben Laden par un commando américain. Des élus républicains, à l’instar du représentant républicain de New York, Peter King, reprochent à l’administration Obama de ne pas savoir tenir sa langue et de ne pas avoir une communication disciplinée. Le président se doit de répondre à ces accusations très négatives en termes d’image et d’appliquer une politique de communication aussi contrôlée que possible. Cela explique que l’administration tente de verrouiller sa communication, notamment sur les opérations secrètes impliquant des pays tiers.
Avec la multiplication des scandales concernant les écoutes téléphoniques, l’usage de drones ou le maintien de la prison de Guantanamo, des voix s’élèvent pour parler d’une continuité entre George W. Bush et Barack Obama dans la guerre contre le terrorisme. Qu’en pensez-vous ?
Il y a une très grande différence entre eux. Avec deux guerres à son compteur et des milliers de soldats américains déployés sur le terrain, le président Bush a soutenu la doctrine du “heavy footprint” (“forte empreinte”) en matière d’utilisation des forces armées. Barack Obama a, lui, adopté une doctrine du “light footprint” (“légère empreinte”) qui passe par trois pôles : le recours beaucoup plus systématiques aux commandos pour des opérations ciblées ; le recours massif aux drones ; et la cyberguerre. Dans ce cadre, le secret est absolument vital. Secret que de nombreux journaux lui reprochent, faisant le parallèle avec le président Nixon, qui s’était retrouvé pris dans le scandale du Watergate. Or, on parle de contextes et de personnalités différentes : le recours au secret dans l’administration Nixon servait des buts différents.
Il y a une dimension très partisane dans ce débat, avec de très larges exagérations servant à délégitimer l’administration Obama et un amalgame opéré entre des affaires comme Guantanamo, l’Internal Revenue Service [IRS, le fisc américain], les écoutes ou les drones. L’administration Obama n’est pas exempte de tout reproche dans ces histoires, mais Barack Obama n’est pas le monstre liberticide que certains veulent présenter. Il s’est engagé dans son mandat à une rupture, mais pas une rupture totale.
Il a tenu ses promesses en retirant les troupes d’Irak, et bientôt d’Afghanistan. Il n’a pas eu recours à des théories fumeuses sur les pouvoirs absolus du président des Etats-Unis. George W. Bush a ouvert Guantanamo, a systématiquement privé les prisonniers de leurs droits. Barack Obama s’est engagé à fermer cette prison, mais cela est impossible d’un point de vue pratique et juridique. Il a toutefois demandé que chacun des dossiers des 160 prisonniers restants soient étudiés individuellement pour tenter de trouver une solution.
Il a été critiqué, à juste titre, sur l’usage des drones, car il y a eu des dérapages et que cela donne un pouvoir absolu aux Etats-Unis. Mais dans son dernier discours, il a opéré un changement radical de doctrine sur le recours aux drones. Cela traduit la conscience de l’administration Obama qu’on ne peut pas continuer éternellement la guerre contre le terrorisme sous la forme qu’elle a prise, avec des conséquences irrémédiables sur les libertés civiles.
N’aurait-il toutefois pas pu faire davantage, comme abroger le Patriot Act notamment ?
Le Patriot Act en 2013 n’est plus tel qu’il était en 2001. Une grande partie des dispositions, notamment liberticides, ont été abrogées lors de précédentes révisions et certaines autres, temporaires, n’ont pas été renouvelées. Le président des Etats-Unis n’a pas le pouvoir d’abroger les lois, tout autant qu’il n’a pas le pouvoir de décider de transférer les prisonniers de Guantanamo sans le Congrès. Un président amériain entre en fonction avec un certain capital politique qu’il va investir pour défendre quelques dossiers. Dépenser ce capital politique pour abroger le Patriot Act serait louable mais lors de son premier mandat, Barack Obama s’est investi sur d’autres dossiers importants pour lui, comme l’Obamacare.
Il ne faut pas oublier que l’on est dans un creux législatif aux Etats-Unis, avec un Congrès qui n’est pas en session, donc le débat n’est pas monopolisé par le projet de loi de réforme de l’immigration, celui du port d’armes ou du budget, les trois dossiers fondamentaux de son deuxième mandat. Ce sont donc d’autres éléments qui accaparent l’espace médiatique entre-temps.
Si Obama réussit au terme de son deuxième mandat à obtenir des réformes sur deux de ces trois dossiers et que la réforme de l’assurance maladie se révèle un succès dans son application, alors les débats actuels sur les scandales des écoutes téléphoniques apparaîtront comme marginaux aux yeux de l’opinion américaine. Dans la recherche constante d’un équilibre entre sécurité nationale —thème explosif aux Etats-Unis depuis 2001— et libertés civiles, le président des Etats-Unis a davantage intérêt à se border sur les questions de sécurité nationale. C’est une chose que Barack Obama assume.
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