The PRISM Scandal or the Need for a Digital Airbus

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L’affaire de la collecte de données privées d’internautes par le renseignement américain soulève des questions politiques et économiques majeures. L’Europe doit se doter d’un géant du numérique pour contrer ces dérives.

Depuis son démarrage jusqu’à la semaine dernière, cette chronique hebdomadaire a, plus d’une fois, pris les Etats-Unis d’Amérique comme source d’inspiration. La capacité de rebond des Américains, leur optimisme fondamental, leur goût pour la liberté avec un grand F (pour « Freedom »), est admirable.

Seulement voilà : depuis quelques jours, les Etats-Unis d’Amérique, et particulièrement leurs leaders politiques et économiques, nous présentent un autre visage. Celui de la domination, de la violation de domicile et de la privation des libertés publiques dans le monde au profit de leur intérêt supérieur. C’est le visage du programme PRISM/US-984XN, révélé par Edward Snowden, consultant américain cherchant refuge en Chine, tant il craint pour sa liberté et sa sécurité en Amérique.

PRISM est un programme efficace comme le sont les entreprises américaines. Il ne coûte que 20 millions de dollars par an, d’après un PowerPoint de la NSA (National Security Agency) révélé par le « Washington Post ».

Avec l’aide de ce petit budget, des lois antiterroristes de George W. Bush (notamment le Patriot Act) et de la bonne volonté gratuite des entreprises ayant endossé Prism – Microsoft, Yahoo!, Google, Facebook, Youtube, Skype, AOL, Apple -, les services de renseignements américains se sont vu garantir l’accès permanent à la vie privée, aux contacts personnels et professionnels, aux histoires personnelles, pensées compliquées, réflexions profondes, pulsions primaires, communications téléphoniques et vidéoconférences « gratuites » d’environ 2 milliards d’internautes dans le monde.

La révélation de cet espionnage permanent et planétaire à 20 millions de dollars par an, qui dépasse les pires cauchemars de George Orwell et les plus beaux rêves de Joseph Staline, a ému les Américains. Mais pas trop. Barack Obama a pris les devants, lors d’une conférence de presse il y a quelques jours : « A propos d’Internet et des e-mails, rassurez-vous : cela ne concerne pas les citoyens américains ou les personnes résidant en Amérique. » Sic. 56 % des citoyens et résidents américains, à la crédulité désarmante, approuvent donc le programme PRISM (sondage Pew Institute lundi dernier). Dont acte.

Le chroniqueur s’attendait à une réaction violente, outragée, des pays européens les plus attentifs aux libertés individuelles, la Grande-Bretagne en tête. Le consentement du gouvernement Cameron, bénéficiaire du programme PRISM, est troublant, pour rester dans l’« under-statement ».

N’est-on pas en face d’une forme nouvelle de totalitarisme ? Un régime totalitaire étant, dixit Le Petit Robert 1977, celui « qui englobe ou prétend englober la totalité des éléments d’un ensemble donné », ainsi de la vie privée des citoyens d’une société. Il revient en tout cas à la France d’organiser une résistance et de proposer une alternative économique et politique. On espère et anticipe ici que l’Allemagne et les pays d’Europe du nord et de l’est, victimes dans un passé récent de la suppression de leurs vies privées du temps de l’URSS et du nazisme, suivront cette initiative pour lui donner une dimension européenne. L’initiative française pourra comporter trois volets, par ordre chronologique d’exécution.

Une campagne de prévention et d’affichage systématique : on a réussi dans le passé à contraindre les fabricants de tabac américains de porter la mention « Fumer tue » sur leurs paquets, qui, effectivement, tuent. Les utilisateurs de services et appareils Microsoft, Yahoo!, Google, Facebook, Youtube, Skype, AOL, Apple, doivent eux aussi être alertés des risques qu’ils encourent. On propose ici quelques messages à inscrire en page d’accueil : « Service portant atteinte à votre vie privée » ou « utilisation à vos risques et périls ».

Une « loi sur les données personnelles », déjà proposée dans ces colonnes le 6 mars dernier, visant à créer un droit de propriété inaliénable et inviolable des données personnelles ; l’obligation de faire opérer les serveurs des sociétés mentionnées (ainsi qu’Amazon) sur le territoire européen ; l’instauration d’une « dataxe », taxant l’exportation des données hors du territoire européen.

La mise en place et l’exécution d’une stratégie industrielle européenne permettant l’émergence de services numériques, qui porteront la croissance et les emplois futurs, dont les Européens auront la pleine maîtrise et propriété. L’émergence d’un champion européen de l’internet n’est pas une chimère, mais une nécessité stratégique, économique et politique. Quelle entreprise pourrait en prendre l’initiative ?

De nombreux analystes estiment que la principale société française du numérique est en panne de stratégie. Elle a pourtant une culture historique d’innovation et d’ingénierie remarquable. Des moyens matériels, financiers et humains considérables. Des actionnaires privés et publics. La possibilité d’un rapprochement avec son alter ego allemand créerait l’épine dorsale d’un futur géant européen. On comprend aussi que le management de cette entreprise, pour de bonnes ou de mauvaises raisons – la justice le dira – est aujourd’hui empêché de se consacrer pleinement à l’exercice d’une telle responsabilité et ambition industrielle.

Cette entreprise s’appelle France Télécom. Avec, entre autres alliances possibles, Deutsche Telekom, elle pourrait devenir demain l’Airbus du numérique mondial. C’est-à-dire une entreprise paneuropéenne qui damera le pion à ses compétiteurs américains, dont la connivence avec les services de renseignements américains est un danger, non seulement pour notre croissance économique et nos emplois futurs, mais aussi pour nos démocraties. « In Europe we trust. »

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