US Supreme Court, Elections and Equality

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La Cour Suprême des Etats-Unis, les élections et la parité

L’arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis du 25 juin dernier sur le droit de vote des minorités a ouvert un débat intense outre-Atlantique, alors qu’il est pratiquement passé inaperçu de ce côté-ci de l’Océan. Rendu le même jour que l’arrêt ayant avalisé le mariage « pour tous » aux Etats-Unis, la décision sur le « Voting Rights Act » (VRA) mérite pourtant d’être signalée car elle pose le problème des moyens qu’a un gouvernement pour lutter contre le racisme et toute autre forme de discrimination.

Rappelons que l’objet du VRA était d’empêcher certains Etats américains d’adopter des dispositifs censés écarter des urnes les Afro-américains, maintenant les Latino-américains ainsi que les femmes des milieux défavorisées.

Ce n’est pas un hasard si cette loi promue par Lyndon B. Johnson a été adoptée en 1965 aux lendemains des manifestations pour les droits civiques. Fondée sur le 15ème amendement de la Constitution américaine qui prohibe toute limitation du droit de vote et d’éligibilité en fonction de la race ou de la couleur de la peau, elle impose à neuf Etats considérés comme ayant un passé raciste de soumettre leurs projets de loi électoraux à l’autorisation préalable du ministère américain de la Justice (DoJ). C’est donc un système préventif qui est instauré.

Car en effet, l’inventivité politique s’est montrée fertile quand il s’est agi d’éloigner des bureaux de vote les électeurs « indésirables » : obligation de se soumettre à des exercices de lecture et d’écriture, de s’enregistrer plusieurs fois, de renvoyer pour s’inscrire des formulaires compliqués, de présenter un certain type de titre d’identité… D’autres pratiques – comme le gerrymandering ou charcutage des circonscriptions – consistant à redessiner les contours d’une circonscription électorale de sorte que les minorités noires par exemple soient noyées dans la masse des électeurs, ont aussi été utilisées.

Pour combattre cela, la loi sur le droit de vote a été d’une efficacité hors pair. Entre 1983 et 2006, plus de 700 initiatives législatives à visée discriminatoire ont été bloquées par le DoJ. De plus, lorsque le DoJ choisit de demander des explications à l’Etat concerné, celui-ci en général modifie son projet pour éviter de le voir rejeter.

Résultat ! Les citoyens des minorités noires et latino-américaines et les femmes aux Etats-Unis sont maintenant aussi nombreux à voter que les autres catégories d’électeurs, et ils se présentent en outre avec un succès croissant aux élections, ce dont témoigne de manière éclatante l’élection de Barack Obama.

Pourquoi supprimer un système qui marche ? C’est la question. C’est ce que vient de faire la Cour Suprême par 5 voix contre 4 selon la ligne actuelle de séparation entre juges libéraux et conservateurs. Pourtant, cette loi sur le droit de vote avait été adoptée sur une base bipartisane par les Démocrates et les Républicains. Et c’est sur cette même base que cette loi – qui à l’origine était prévue pour durer cinq ans – a été constamment reconduite depuis lors, en dernier lieu d’ailleurs en 2006 pour 25 ans ; sous présidence G.W. Bush, par conséquent.

Il faut dire que depuis le départ de Sandra O’Connor de la Cour Suprême en 2006, cette juridiction retient très souvent des options très conservatrices. Sandra O’Connor, première femme nommée juge de la Cour Suprême des Etats-Unis par Ronald Reagan, est celle qui permettait à la Cour de pencher pour des positions libérales en matière de droits des femmes et des minorités notamment. Elle détenait ce que l’on appelle le « swing vote » dont l’orientation n’est pas déterminée à l’avance.

Aujourd’hui, le vote des 5 juges regardés comme conservateurs est presque connu d’avance dans la plupart des affaires. C’est ainsi cette majorité qui a aboli la partie essentielle de la loi sur le droit de vote en tant qu’elle encadrait les compétences de certains Etats pour définir les conditions d’électorat et d’éligibilité.

L’annulation de cette loi a été d’abord l’occasion pour la Cour de réaffirmer la souveraineté des Etats américains contre l’Etat central, au détriment de la protection des libertés. Mais surtout, la Cour a voulu signifier qu’il était temps de biffer l’épisode raciste de l’histoire américaine. L’arrêt indique clairement à cet égard que le contrôle des lois électorales des neuf Etats ayant un passé raciste n’avait plus aucun sens aujourd’hui. Dès lors qu’il y a parité entre le nombre des électeurs noirs ou latino-américains et les autres, que les femmes votent autant que les hommes et qu’un nombre croissant d’entre eux et elles accèdent à des mandats électoraux, la loi serait devenue inutile ! Ce que – sous-entendu – démontre s’il en était besoin l’élection d’Obama à la fonction présidentielle.

Cela n’est pas convaincant, et je recommande vivement à ceux que cela intéresse de lire l’opinion dissidente de Ruth Bader Ginsburg, une juge remarquable nommée par Bill Clinton, qui décrit fort bien les mauvaises pratiques telles qu’elles n’ont jamais cessé d’être reprises ici ou là. Cette opinion dissidente a été rejointe par les deux autres femmes de la Cour – nommées par Barack Obama – et par Steve Breyer, nommé comme Ruth Ginsburg par Bill Clinton et comme elle parfait connaisseur de la France. No comment…

Malgré l’arrêt de la Cour Suprême, les lois électorales discriminatoires pourront toujours être attaquées en justice. Toutefois, il faudra que les requérants dans ce cas attendent éventuellement des années avant que leurs recours aboutissent.

Pour nous Français et Européens, cette affaire apporte un double enseignement :

– D’une part, il ne faut pas songer à abolir trop vite les lois anti-discrimination, et c’est le cas en France des lois sur la parité qui sont en passe de changer la place de la femme dans la société ;

– D’autre part, s’il n’est pas trop osé de comparer l’Union européenne à ce qu’est le gouvernement fédéral américain, notons qu’en matière de droits et libertés, l’Europe peut être en avance sur ses Etats-membres et que la lutte contre toute forme de discrimination fait partie de son projet fondateur.

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