Attaqué par les internautes pour avoir fait figurer en première page Dzhokhar Tsarnaev, accusé d’être à l’origine de l’attentat de Boston, le magazine “Rolling Stone” se défend en soutenant que cette couverre “s’inscrit dans la tradition du journalisme et dans l’engagement de longue date de ‘Rolling Stone’, à couvrir de manière sérieuse et réfléchie les questions politiques et culturelles les plus importantes de notre époque”.
Et il ajoute que “le fait que Dzhokhar Tsarnaev soit jeune et ait le même âge que bon nombre de nos lecteurs rend d’autant plus important, selon nous, l’étude des complexités d’une telle histoire et l’obtention d’une meilleure compréhension de ce qui permet à une telle tragédie d’avoir lieu”.
Un choix de photo maladroit
En choisissant ces arguments pour se défendre, le magazine refuse évidemment de voir la question qui est au cœur de la polémique. Il ne s’agit nullement de nier le bien-fondé des journalistes à expliquer comment, dans l’Amérique d’aujourd’hui, on peut devenir terroriste.
Notons au passage que France 3, il y a peu, a entrepris la même démarche en revenant sur la biographie de Merah. Ce qui a pu choquer, c’est moins le sujet que la photo de couverture. Non pas le fait qu’un présumé terroriste ait l’honneur de la première page, mais qu’il ait un visage charmant, séduisant, comme ceux des vedettes qui y figurent d’habitude.
On ne peut nier la responsabilité éditoriale de “Rolling Stone”. On ne peut reprocher à Dzhokhar Tsarnaev d’avoir l’allure d’un jeune romantique, on peut en revanche en vouloir au journal d’avoir choisi cette photo, que lui-même avait sélectionnée parmi les possibles pour se présenter dans sa page Facebook.
Comme nous l’a appris Roland Barthes depuis fort longtemps, les connotations d’une photo de presse ne viennent pas de la photographie elle-même, mais de la fonction que lui assigne le journaliste.
Une rupture avec certains stéréotypes
Quelle est cette fonction, en l’occurrence ? Montrer qu’un terroriste peut être “mignon” ? Qu’il peut avoir l’air doux ? Bien sûr, cela nous choque tant nous sommes conditionnés par les stéréotypes véhiculés par moult fictions, dans lesquels les terroristes se reconnaissent au premier regard en raison de leur sale gueule.
Nous sommes conditionnés par le délit de faciès et un jeune homme mal rasé, le regard mauvais, et les cheveux crasseux, correspondrait mieux à notre attente. Il y a quelque temps, un photographe venu faire mon portrait, Didier Goupy, m’a montré des photos qu’il avait faites de Le Pen. Il lui avait fait enlever ses lunettes, sourire et on le voyait sous un jour totalement inédit, doux et sympathique.
Ces images devenaient presque choquantes car nous sommes habitués à ce que les journalistes sélectionnent pour illustrer leurs articles des photos qui correspondent à l’idée qu’ils se font du sujet ou, même, au jugement qu’ils portent sur lui.
Ce que dit l’image de Dzhokhar Tsarnaev, ce serait quelque chose comme “on n’a pas forcément la gueule de l’emploi” ou encore : le pire salaud peut avoir une gueule d’ange. C’est ce que confirme, à sa manière, une série comme Dexter, dans laquelle le tueur en série est campé par un acteur à la mignonne petite gueule.
Contraire à du journalistique d’investigation ?
Tout cela va en fait dans le sens d’une lecture simpliste de la banalité du mal (Arendt) : on ne naît pas terroriste, on n’est pas terroriste parce qu’on est anormal, on le devient au gré de circonstances que l’on peut expliquer d’un point de vue journalistique.
Encore une fois, si le propos est totalement justifié (c’est aussi au plan fictionnel celui d’Al-Aswany dans “Chicago”), fallait-il accrocher le lecteur avec une photo de ce jeune homme bien de sa personne ? J’en doute.
Comment ne pas voir dans cette démarche qui ratifie le narcissisme ordinaire de tout utilisateur de Facebook une acceptation du regard du présumé terroriste sur lui-même qui, en tant que telle, est en contradiction avec une démarche journalistique d’investigation?
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