Bradley Manning, qui avait fourni à WikiLeaks près de 250.000 câbles diplomatiques américains, risque 136 ans de prison. C’est le verdict qui vient de tomber en clôture de son procès. Depuis son arrestation, le gouvernement américain est très critiqué. Pour Maxime Pinard, de l’Iris, les lanceurs d’alerte sont des détenus avec lesquels les États ne peuvent pas faire n’importe quoi. Explications.
On a appris ce mardi soir que Bradley Manning n’était finalement pas reconnu coupable de “collusion avec l’ennemi”, mais qu’il risquait malgré tout 136 années de prison, eu égard aux 22 chefs d’accusation portés contre lui.
Manning, traître ou martyr ?
Ce n’est guère une surprise car le principal chef d’accusation supposait que la preuve soit apportée comme quoi Manning avait agi afin de fournir à des organisations terroristes les documents volés. Il s’agissait surtout d’une tentative d’intimidation des autorités américaines pour freiner l’élan d’éventuels futurs lanceurs d’alerte, l’accusation de collusion avec l’ennemi pouvant conduire à la prison à perpétuité.
C’est donc un verdict qui risque fort de ne satisfaire personne : les détracteurs de Manning qui voient en lui un “traître” vont dénoncer le manque de fermeté de l’appareil judiciaire, tandis que les partisans de l’ancien militaire y voient pour ainsi dire un “martyr”.
Dès l’annonce du verdict, Wikileaks a réagi en qualifiant Manning de “source journalistique la plus importante que le monde ait jamais eue” et soulignant son “héroïsme incontestable”. D’un point de vue rationnel, il est difficile de partager entièrement le point de vue de Wikileaks : lorsqu’on regarde dans le détail les informations transmises par Manning, une infime minorité est d’un intérêt certain.
Des révélations qui consacrent le rôle du lanceur d’alerte
Pour ce qui est de son héroïsme, rappelons simplement que s’il a été découvert, c’est parce qu’il s’est vanté de son action auprès d’un hacker dénommé Adrian Lamo, qui l’a dénoncé par la suite aux autorités. Certes, il lui a fallu du courage pour décider d’entreprendre son opération, mais force est de constater qu’il a été aussi très inconscient et imprudent par la suite.
C’est lors de son affection en Irak en 2009 en tant qu’analyste du renseignement que Manning commence à collecter des informations, pour certaines de manière illégale. Jusqu’à son arrestation en mai 2010, il aura transmis plus de 250.000 câbles diplomatiques américains (publiés en novembre 2011), des rapports sur les guerres en Afghanistan et en Irak, etc… Beaucoup de ces documents ne faisaient que confirmer ce que l’on savait déjà de ces guerres. Seule exception : la diffusion d’une vidéo le 5 avril 2010 montrant une bavure des forces américaines en Irak contre des civils désarmés.
Cette révélation démontre l’utilité et le courage de Manning, mais en la noyant parmi des milliers de documents, elle a perdu de son importance stratégique, les médias se focalisant sur les petites anecdotes de telle ou telle ambassade, reléguant au second plan un acte pourtant hautement condamnable…
Le comportement ambigu de Manning
S’il s’était borné à ce scandale, il aurait pu en effet aspirer à cette image de héros ; mais en enfreignant les règles, en cherchant quoiqu’on en dise une certaine reconnaissance via des révélations massives, son rôle devient très ambigu, même si Manning se borne à répéter que son objectif était de provoquer un “débat public” sur la politique étrangère des Etats-Unis. Force est de constater que c’est un échec puisque l’attention se porte sur lui, sur son rôle, et beaucoup moins sur les erreurs des forces politiques et armées américaines.
En le détenant dans des conditions inhumaines pendant des mois (jusqu’à son transfert en avril 2011), les autorités américaines se sont fourvoyées, permettant aux partisans de Manning de dénoncer les excès du pouvoir américain. Celui-ci tente désormais de rectifier le tir au sujet des lanceurs d’alerte, assurant que la peine de mort ne serait plus requise contre les nouveaux lanceurs d’alerte (dont Snowden), mais il ne saurait pour autant faire preuve de trop d’indulgence car en fin de compte, il y a quand même délit de la part de Manning.
Manning, Snowden, des pions pour les États
Il n’y a pas de “bonne” voie de sortie pour les États-Unis dans cette affaire ; dans tous les cas, il y aura des retombées négatives. Même s’il y a une effervescence avec le procès, avec des soutiens qui se manifestent fortement dans les médias, on peut parier que l’on n’entendra plus beaucoup parler de l’ancien analyste d’ici quelques mois. Une peine proportionnée, et non pas exemplaire comme certains le souhaiteraient, doit être appliquée, dans le cadre de la loi.
L’affaire Snowden, qui peut s’apprécier en miroir de l’affaire Manning, démontre en tout cas qu’il y a une place pour les lanceurs d’alerte, que leur action consiste en un renoncement à leur vie pour montrer à tous un fait qu’ils jugent indispensable à un meilleur fonctionnement des institutions. Même si Edward Snowden connaît beaucoup de difficultés depuis son départ pour Hong-Kong, force est de constater qu’il est aujourd’hui en sécurité. En s’assurant au préalable, et dans la mesure du possible, de sa propre sécurité, il s’est donné les moyens de parvenir au terme de sa mission.
Même si les États-Unis sont hautement critiquables pour plusieurs raisons concernant l’affaire Manning, il ne faudrait pas penser pour autant que les autres puissances seraient plus disposées à protéger et à accueillir des lanceurs d’alerte de leur propre nationalité.
Quand on voit les réactions européennes aux demandes d’asile de Snowden, alors qu’il leur a rendu un immense service en révélant le programme d’écoutes américain, on est en droit de se dire qu’en fin de compte, les lanceurs d’alerte ne sont que des pions d’un vaste échiquier, utilisé par des puissances pour un temps, avant d’être abandonnés quand considérés comme trop gênants.
Les lanceurs d’alerte sont pourtant un espoir car ils démontrent que des informations, même cachées et protégées, peuvent toujours potentiellement être révélées, ce qui peut à la fois être salutaire ou néfaste pour le débat public.
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