Des messages contenant des menaces d’attentat, échangés entre le numéro un d’Al-Qaida et le chef d’Al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA), ont précipité la décision de Washington de fermer dès dimanche 4 août une vingtaine de ses ambassades et consulats, d’après plusieurs médias américains. Mardi, les Etats-Unis ont appelé leurs ressortissants ainsi que leur personnel non essentiel vivant au Yémen – une des bases arrière de l’organisation terroriste – à quitter le pays”immédiatement”. Des avions de l’US Air Force ont commencé à évacuer des Américains vers la capitale, Sanaa. Dans la foulée, Londres a évacué tout le personnel de son ambassade à Sanaa, en raison “d’inquiétudes accrues quant à la sécurité”, a annoncé le ministère des affaires étrangères.
Dominique Thomas, spécialiste des réseaux djihadistes à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess), analyse la réalité de ces menaces.
Quelle est la réalité des menaces terroristes visant les Etats-Unis et les pays occidentaux au Yémen et dans le monde musulman ?
Dominique Thomas : Les Américains ont eu une réaction exagérée qui s’explique par les deux 11-Septembre, celui de 2001 contre le World Trade Center aux Etats-Unis et celui de 2012 contre l’ambassade américaine à Benghazi, en Libye. Et ce, davantage du fait des implications de la polémique sur l’attentat de Benghazi sur la scène politique américaine et du risque que cette polémique ne rebondisse à la rentrée, au fil des révélations de la commission d’enquête parlementaire. Cela constitue une jurisprudence pour les Etats-Unis, qui ne veulent désormais plusprendre aucun risque. La moindre alerte entraîne donc des mesures spectaculaires.
Les autres pays occidentaux ont appliqué le principe de précaution au regard des informations américaines qu’ils ont reçues. Chaque pays sait qu’il est potentiellement une cible d’opportunité pour ces groupes, à défaut de pouvoirfrapper les Etats-Unis. C’est le cas notamment dans les enlèvements, qui visent au Yémen des ressortissants de différentes nationalités. La participation des Occidentaux au processus de transition au Yémen et leur soutien au président Abd Rabbo Mansour Hadi en fait une cible. La France par exemple contribue au processus de dialogue national au niveau de la rédaction de la Constitution, un élément clivant au Yémen. Il y a eu des messages adressés par Al-Qaida aux oulémas yéménites pour leur demander d’écarter la France de ce processus. Il y a également le contexte économique avec les investissements de Total, considéré comme exploitant les ressources économiques du pays de façon injuste.
Michael McCaul, président de la Commission de la sécurité intérieure de la Chambre des représentants, a justifié ces mesures par le fait que les messages interceptés entre le numéro un d’Al-Qaida, Ayman Al-Zawahiri, et le chef d’AQPA, Nasser Al-Wahichi, constitue “l’une des menaces les plus crédibles et les plus précises (…) depuis le 11 septembre”. Est-ce le cas ?
Les informations que les services de renseignement américains ont dit avoirintercepté et fait filtrer n’ont pas été diffusées sur des réseaux ou sites proches d’Al-Qaida. Il est question d’un mandat donné par Ayman Al-Zawahiri à l’émir d’AQPA pour mener des attaques imminentes contre les Occidentaux, et plus particulièrement les Etats-Unis. Cela peut être crédible car Al-Zawahiri connaît très bien AQPA et notamment l’émir Al-Wahichi, un ancien d’Afghanistan avec qui il a une correspondance régulière et des contacts particuliers. Le numéro un d’Al-Qaida est passé par le Yémen. Des islamistes égyptiens, pays d’origine d’Al-Zawahiri, ont des postes de haut niveau au sein d’AQPA. Quand les deux branches yéménite et saoudienne d’Al-Qaida ont fusionné en 2009 pour devenirAQPA, Al-Zawahiri a été le premier à saluer cette fusion.
Mais Al-Qaida a autant envie de frapper les Etats-Unis aujourd’hui qu’il y a deux mois, un an ou dix ans. Ce désir est décuplé par la politique de frappes de drones au Yémen depuis 2009 qui a décimé plus d’une vingtaine de chefs en trois ans et par l’assassinat de Ben Laden au Pakistan.
En quoi le Yémen constitue-t-il un terrain privilégié pour mener des attaques terroristes contre les intérêts américains et occidentaux ?
Pour la branche yéménite d’Al-Qaida, c’est quasiment devenu une obsession du fait des raids de drones, tout comme ça l’est pour les Pakistanais du Waziristan. Le premier raid de drones américains a eu lieu en novembre 2002 au Yémen.
Les Etats-Unis sont en outre vus comme une puissance impérialiste, qui s’ingère dans la politique yéménite en jouant le parrain des nouvelles autorités de transition. La présence militaire américaine n’est pas négligeable dans le sud du pays, avec sa base aérienne près d’Aden, ainsi que la présence des forces spéciales près de l’ambassade américaine à Sanaa. Les Etats-Unis sont l’ennemi public numéro un et l’AQPA est déterminée à les frapper directement ou indirectement.
On parle d’un affaiblissement d’Al-Qaida dans la péninsule Arabique. Est-ce le cas ?
AQPA a été affaibli par les attaques de drones qui ont décimé plus d’une vingtaine de cadres depuis 2009. Elle a également été affaiblie par la stratégie de territorialisation qu’elle a initiée dès mai 2011 au sud du Yémen visant au contrôle de territoires entiers. Cette stratégie a été douloureuse et coûteuse en vies humaines et en investissements économiques car il a fallu administrer des zones et payer des tribus pour obtenir leur allégeance. Cela a peut-être affaibli l’organisation sur le plan quantitatif mais pas en capacité à mener des attaques.
Sur le plan opérationnel, il y a toujours au sein de l’organisation des éléments très déterminés et très compétents en termes d’innovation, des ingénieurs qui peuventmettre au point de nouveaux types d’attaques. Economiquement, ils ont récupéré beaucoup d’argent en mettant la main sur des secteurs entiers de l’économie du sud du Yémen. Hormis en Syrie, peu d’organisations djihadistes ont aujourd’hui la capacité de frapper sur un territoire entier, de saboter des pipelines et des gazoducs, de tuer deux à trois officiers par semaine, de faire des embuscades régulières contre des convois armés. Le nombre d’attaques d’AQPA au cours des six derniers mois est hallucinant et le nombre de ses combattants s’approche de 3 000 à 4 000, même s’ils sont aujourd’hui disséminés et dispersés. Ils disposent également depuis 2011 d’une vitrine sociale à base tribale avec Ansar Al-ChariaYémen qui applique les orientations d’AQPA sur le terrain.
Le renforcement sécuritaire et la réduction de la présence civile américaine actuelle, ajoutée à une guerre qui est désormais menée dans les airs, rend toutefois complexe le combat contre les Etats-Unis pour Al-Qaida. C’est une guerre qu’ils ont du mal à appréhender d’où le repli sur des petites actions, des frappes, des enlèvements. Mais AQPA, qui anime la revue djihadiste de langue anglaise Inspire, revendique la responsabilité de la moindre action menée sous l’inspiration de cette revue comme les attentats de Boston, aux Etats-Unis, le 15 avril 2013.
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