Snowden Affair: France Stays Silent

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Il y a trente-cinq ans, la France a été l’un des premiers pays au monde à se doter d’une loi Informatique et libertés. Serait-il possible qu’elle reste sans réaction, muette face au scandale que constitue le système Prism d’espionnage des transactions Internet par les agences américaines ? Et sans voix face à la manière dont est traité ce lanceur d’alertes qu’est Edward Snowden ?

Il y a plus de trente-cinq ans, nous sommes de ceux qui ont lancé le débat sur “Safari ou la chasse aux Français” (Le Monde du 21 mars 1974) : l’un de nous était journaliste, le second magistrat, et le troisième chercheur en informatique et en sciences sociales. Pour nous, l’interconnexion généralisée des fichiers, liée à une extension massive de l’informatique dans toutes les dimensions de la vie quotidienne, pourrait déboucher sur un totalitarisme tel qu’il effacerait peu à peu le goût même de la liberté. Notre cri d’alarme fut à l’origine d’un débat d’où résulta la loi du 6 janvier 1978.

DES CRAINTES JUSTIFIÉES

Que révèle le scandale Prism, si ce n’est la justesse de ces craintes, en pire ? Il y a trois aspects. Le premier, c’est l’utilisation de la technologie pour combattre l’ennemi du moment (le terrorisme), en traquant les plus infimes détails de la vie privée (relations, conversations, centres d’intérêt, déplacements) pour cerner les opinions de ceux qui, aux yeux de ces espions légaux aux Etats-Unis, pourraient passer à l’acte.

Le second aspect, c’est l’absence de règles claires dans l’exercice de ce pouvoir, avec des actes juridiques comme le Patriot Act conçus dans l’émotion qui suivit la destruction des deux tours de Manhattan en 2001. Ils ne précisent ni lesquels des 100 000 agents de l’Agence de sécurité nationale (NSA) ont accès à telle ou telle catégorie d’information, ni sous le contrôle de qui ces fichages sont réalisés, ni au travers de quels mécanismes des échanges de données seront effectués avec des services secrets étrangers.

Le troisième aspect est la brutalité aveugle et maladroite avec laquelle le gouvernement américain a réagi aux informations de M. Snowden : c’est un traître, pas un lanceur d’alertes ; aucun pays ne peut lui accorder de droit d’asile s’il veut rester un ami des Etats-Unis ; il faut d’urgence fermer les services de messagerie cryptée que M. Snowden aurait utilisés pour entrer en contact avec les militants des droits de l’homme susceptibles de le défendre.

L’INCOMPRÉHENSIBLE ATTITUDE DES ETATS-UNIS

Mais que veut dire cette hystérie ? Lorsque Julian Assange engageait l’opération WikiLeaks, il mettait sur la place publique des données diplomatiques parfois personnelles qui auraient pu mettre en danger la sécurité de certains. Mais, ici, qu’est-ce qui a été révélé ? Un ancien agent a confirmé des soupçons, donné une idée des volumétries, souligné le double jeu des services secrets européens. Est-ce là le crime ? A moins que ce ne soit d’avoir mis en cause la coopération que Prism met en œuvre avec nos sympathiques compagnons numériques : Google, Twitter, Facebook, etc. ? En tout cas, les patrons de ces géants se sont empressés de se dédouaner et de demander une révision du Patriot Act pour qu’il y ait plus de transparence ! Les a-t-on poursuivis pour trahison devant l’ennemi ?

L’attitude de l’administration Obama est d’autant plus incompréhensible qu’il y a peu de temps encore Hillary Clinton se faisait l’avocat d’un soft power passant par l’accès des militants de la démocratie à des logiciels de mailing cryptés : c’était au moment du “printemps arabe”… Paille dans les yeux des uns, poutre dans ceux des autres ? C’est vrai qu’il n’est pas facile de défendre un usage humain de la technologie quand on promeut en même temps l’usage massif des drones, ces capteurs automatiques d’informations qui survolent, espionnent, passent à l’acte et tuent, quand on le leur commande !

Certes, mais est-ce le moment de jouer à la belle âme quand on doit combattre le terrorisme ? Les responsabilités qui pèsent sur Barack Obama sont énormes, mais pense-t-on que la terreur sera plus facile à éradiquer quand on aura banalisé les drones et l’espionnage Internet ? On a pu dire que M. Obama avait été élu président des Etats-Unis car il avait su transformer ses contradictions en un espace de tension où se reconnaissait le pays. A l’échelle mondiale, le même homme ne perd-il pas la légitimité que lui aurait procurée une attitude équilibrée entre ces deux risques jumeaux que sont le fichage banalisé et le terrorisme généralisé ?

MUSELER PAR LE PETIT JEU DE BARBICHETTE

Face à cette absence de justice et de leadership, la France doit prendre une initiative. Il faut d’abord que la France d’ Hugo et de Zola pose le débat : mais, au fond, dites-nous clairement ce qu’Edward Snowden a fait de mal ! Car, s’il y a quelque chose de caché, qu’on le dise! Et, sinon, qu’on ne se laisse pas museler par le petit jeu de barbichette de ce qu’auraient pu faire nos propres officines ! S’il n’y a rien, qu’on rende à M. Snowden son honneur, et qu’on reconnaisse son mérite.

Ensuite, la diplomatie française doit promouvoir, en liaison avec nos instituts de recherche et nos spécialistes en cryptologie qui sont au plus haut niveau mondial, des solutions sécurisées et loyales permettant à tous les démocrates du monde de communiquer par des moyens sûrs qui résistent à la curiosité obscène des bureaucraties de l’espionnage Internet.

Enfin, il est temps d’engager une initiative de grande ampleur pour que s’élabore une charte mondiale Informatique et libertés. Ne nous recroquevillons pas sur l’Europe comme seul îlot de droit. Il faut mettre dans le coup l’Amérique, l’Asie, l’Afrique et l’Océanie ! Certes, nous partons de très loin, et les sensibilités ne sont pas les mêmes. Mais qui dit qu’une initiative claire et audacieuse ne verrait pas se lever des forces favorables, y compris de là où on ne les attend pas ?

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