The American Paradox in Syria

<--

Barack Obama, le contraire d’un homme à la gâchette facile, s’apprête à sanctionner par la force l’emploi de l’arme chimique en Syrie. Au Proche-Orient, l’épisode renforcera dans leurs convictions tous ceux – ils sont nombreux – qui diabolisent l’Amérique : quoi qu’il arrive, coupable de tous les malheurs de la région !

Elle tirerait les fils des tragédies en cours. Cheftaine du monde occidental, elle manipulerait, corromprait, intimiderait ou séduirait les uns et les autres avec toujours le même sinistre et noir désir : priver les Arabes de la maîtrise de leur destin.

L’Amérique en éternelle puissance suzeraine du Proche-Orient ? C’est un mythe, une légende. Mais ils sont plus partagés que jamais.

Exemples. La presse du Caire accuse les Etats-Unis d’avoir propulsé les Frères musulmans au pouvoir pour mieux asservir l’Egypte – les éditorialistes ne précisent pas comment. La propagande de Damas affirme que Bachar Al-Assad est victime d’un complot américano-israélo-djihadiste – Washington, Al-Qaida et Israël coalisés pour en finir avec le seul régime qui tienne tête aux Occidentaux. Sur le Net, une rumeur incrimine l’hypocrisie prétendue de Barack Obama : le président américain, voyez-vous, n’attendait qu’un prétexte, celui de l’attaque chimique du 21 août, pour intervenir en Syrie…

La légende de la surpuissance des Etats-Unis – et de son président – ne s’embarrasse pas des faits. Elle les ignore. Elle est l’une des formes d’une maladie que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a oublié de traiter dans la région : la “complotite”.

Comme tout mythe, celui-là a sa part de vérité. L’Amérique a sûrement beaucoup à se faire pardonner. Ancrée dans une double alliance – avec l’Arabie saoudite depuis 1945 et avec Israël depuis 1967 –, sa présence au Proche-Orient a servi ses intérêts économiques et stratégiques. Ce fut vrai du temps de la guerre froide. Et plus encore durant ce court moment où, de la chute du mur de Berlin en 1989 au début des années 2000, l’Amérique s’est retrouvée en situation de domination quasi absolue.

Ce n’est plus vrai. L’influence américaine dans la région recule. Le pouvoir américain ne cesse d’y perdre de son emprise. Les événements des dernières semaines le confirment, en Egypte comme en Syrie. Paradoxe : la probable frappe de missiles américains sur ce dernier pays est le reflet d’un leadership en perte de vitesse. Elle n’est pas que cela, mais elle est aussi cela, un geste destiné à enrayer une crédibilité passablement ébranlée.

Washington prépare un tir de semonce. Les missiles de croisière doivent d’abord porter un message politico-stratégique : non à l’emploi de l’arme chimique. Leur objectif premier n’est pas de changer la donne sur le terrain. Au-delà de l’assistance qu’elle apporte à une partie de la rébellion, l’Amérique ne veut pas s’immiscer plus avant dans la tragédie syrienne. Deux jours après l’attaque au gaz perpétrée dans la banlieue de Damas, M. Obama confie à CNN : “Trop souvent, notre capacité à résoudre une situation aux composantes aussi complexes est surestimée.”

INFLUENCE “SURESTIMÉE”

De même que la capacité des Etats-Unis à exercer une influence sur la situation en Egypte s’est avérée largement “surestimée”. A plusieurs reprises, les Américains ont mis en garde Mohamed Morsi contre sa dérive autoritaire, sectaire et suicidaire. Sans succès. Passé le coup d’Etat du 3 juillet, ils ont supplié le nouveau “patron” de l’Egypte, le général Abdel Fattah Al-Sissi, de ne pas aller à l’affrontement avec les Frères musulmans. Là encore, sans le moindre succès.

Aucune des pressions exercées par Washington n’a intimidé les généraux égyptiens. Pas même la menace esquissée, et restée en suspens, d’une interruption de l’aide militaire de 1,3 milliard de dollars accordée chaque année au Caire depuis 1979.

Dans l’affaire égyptienne, les alliés locaux de l’Amérique sont divisés – et torpillent son influence. Le Qatar et la Turquie soutiennent les Frères musulmans. L’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe appuient les militaires égyptiens. Ils mettent 12 milliards de dollars d’aide inconditionnelle à la disposition duCaire. Et compensent à l’avance, et au-delà, une éventuelle suspension de l’aide des Etats-Unis à l’Egypte.

La crédibilité politique des Etats-Unis – de “l’Occident” en général – n’est pas au plus haut non plus. M. Obama devait redorer un blason singulièrement terni par George W. Bush, son prédécesseur. Mais Guantanamo n’est pas fermé. Mais le dossier israélo-palestinien, abandonné durant quatre ans, vient seulement d’être rouvert. Mais, dans les “printemps arabes”, la défense des droits de l’homme a été à géométrie variable, au gré des intérêts des Etats-Unis.

Enfin, pour expliquer ce reflux de l’influence américaine au Proche-Orient, il y a le facteur Obama. D’éventuelles frappes sur la Syrie ne doivent pas tromper. Le 44e président des Etats-Unis veut se désengager de la région. Il estime qu’elle est aujourd’hui de moindre intérêt stratégique et économique pour l’Amérique. Il laisse presque transparaître comme une lassitude devant la malédiction proche-orientale – cette succession ininterrompue de guerres et de massacres, quand le reste du monde paraît intelligemment occupé au développement économique.

M. Obama a pris la mesure des limites du pouvoir américain au Proche-Orient. Il n’est pas sûr que cela le chagrine.

About this publication