The American-Russian Agreement: Washington and Moscow Come Together at the Expense of the Syrian People

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Américains et Russes ont conclu samedi un accord qui donne à Damas une semaine pour présenter la liste de ses armes chimiques. Une décision qui enterre définitivement l’éventualité d’une intervention militaire en Syrie. Pour Jean-Pierre Filiu, spécialiste du monde arabe, cette solution signifie l’abandon du peuple syrien.

L’accord Kerry-Lavrov de Genève dissipe enfin l’illusion d’une “guerre froide” qui opposerait en Syrie partisans de Washington et alliés de Moscou. Il est désormais clair que les États-Unis et la Russie partagent la même volonté d’enterrer la révolution syrienne, en validant Bachar al-Assad comme seul interlocuteur de la communauté internationale.

Washington et Moscou sont également unis dans le même refus de prendre en compte la réalité sur le terrain syrien, lui préférant des arrangements complexes, conclus à des milliers de kilomètres de là.

Lâchage de la population syrienne

Vladimir Poutine a pour lui la solidité de son soutien inconditionnel à la dictature de Damas. Barack Obama est plus indécis, mais aussi plus pervers dans son lâchage de la population syrienne.

Un accord explicitement limité aux armes chimiques vaut permis de tuer délivré à Bachar al-Assad pour utiliser missiles, aviation, blindés et artillerie à l’encontre de ses compatriotes. Le régime syrien a d’ores et déjà multiplié les bombardements de type classique sur tous les fronts depuis qu’il est assuré d’être épargné à court terme par des frappes occidentales.

Le peuple syrien n’est pas descendu dans la rue, au printemps 2011, pour demander la mise sous tutelle internationale des armes chimiques. Il a manifesté pacifiquement et massivement son exigence de justice et de liberté. Les États-Unis d’Obama ont choisi de l’abandonner sans défense face à ses bourreaux.

Pire que cela, ils ont validé à Genève en juin 2012 un accord avec Moscou confortant de fait Bachar al-Assad à la tête de l’État syrien, la perspective d’une transition étant repoussée à un horizon indéfini.

Un accord mort né

Cet accord s’était déjà avéré mort né, du fait de l’absence d’un mécanisme clair de pression sur la dictature syrienne, qui cherche avant tout à gagner du temps et se refuse à concéder la moindre parcelle de son pouvoir absolu. Il est à craindre qu’il n’en soit de même pour ce deuxième accord de Genève.

Mais l’essentiel pour Bachar al-Assad est d’avoir brisé la dynamique de mobilisation internationale que le massacre chimique du 21 août 2013 avait provoquée.

En traçant en août 2012 une “ligne rouge” sur l’utilisation des armes chimiques, Barack Obama espérait bien que le despote syrien prendrait soin, même durant les pires vagues de la répression, de demeurer en deçà de cette fameuse “ligne rouge”. On sait qu’il n’en a rien été. Les violations ponctuelles de cette “ligne rouge” se sont multipliées depuis l’hiver, avant l’offensive massive du 21 août 2013.

Obama, toujours arc-bouté dans son refus d’une intervention, se retranchait derrière le Congrès pour justifier sa passivité. Il peut être reconnaissant à Poutine de lui avoir offert une porte de sortie “diplomatique”. Soyons clairs, sur la Syrie, il n’y a pas d’affrontement, même à fleurets mouchetés, entre Washington et Moscou, mais un jeu de rôles dont les Syriens font les frais à un coût exorbitant.

La Syrie continuera d’être détruite

L’historien que je suis ne peut qu’être frappé de l’étouffement de la Syrie de 2013, ensevelie sous le traumatisme laissé par la gestion calamiteuse de l’Irak en 2003. On le voit à satiété dans le débat public qui parle de ceci quand il est question de cela.

Avec l’accord Kerry-Lavrov, on crée artificiellement un foyer de polarisation et de tension internationales, qui produira les mêmes crises à répétition que la traque aux “armes de destruction massive” en Irak avant 2003.

Pendant ce temps-là, le peuple syrien continuera d’être massacré, la Syrie continuera d’être détruite et les haines s’alimenteront de tant de souffrances et de tant de ruines.

Bachar al-Assad bénéficiera à court terme de l’accord Kerry-Lavrov. Mais les grands gagnants de cette nouvelle séquence de la tragédie syrienne seront sans doute les jihadistes. Leur discours sur la duplicité de l’Occident, sur l’illusion des droits de l’homme, voire sur l’alliance de Washington et de Moscou contre l’Islam, aura en effet bien du mal à être combattu, en Syrie et au-delà.

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