Pertes et-profits
Le dernier épisode de la crise syrienne est digne d’être enseigné dans les plus prestigieuses écoles de science politique et les plus illustres académies diplomatiques. Il a permis au monde d’assister, en direct, à un bras de fer impitoyable mais calculé entre deux puissances de calibre international; une confrontation sous-tendue par un nombre incalculable de considérations internes, régionales et continentales, où le moindre faux pas aurait pu causer une crise mondiale majeure.
Ce ne sont certainement pas nos surenchérisseurs locaux qui réussiront à démêler cette délicate partie qui s’est jouée ces deux dernières semaines. Quand ils ne sont pas personnellement impliqués, ils sont trop passionnés pour pouvoir apporter une explication logique ou livrer une analyse honnête et objective. Les voilà qui envahissent déjà les médias pour défendre leurs poulains, en mélangeant fantaisie, fiction et réalité. Entre «Assad a vaincu Obama» ou «c’est la fin imminente du régime syrien», les explications qui sont proposées sont réductrices, alors que la réalité, elle, est bien plus complexe et, surtout, nuancée.
Il existe pourtant des constantes incontournables, l’une d’elles étant que l’Amérique d’aujourd’hui n’est plus ce qu’elle était hier. Ce n’est pas l’auteur de ces quelques lignes qui le prétend, mais d’illustres plumes et figures publiques américaines, comme par exemple la célèbre juge Jeanine Ferris Pirro (d’origine libanaise, by the way), qui a littéralement démoli Barack Obama lors d’une remarquable prestation télévisée (la vidéo est disponible sur YouTube).
Les signaux, illustrant le recul de l’influence des Etats-Unis, n’ont jamais été aussi manifestes. Les hésitations, les revirements, la confusion, les contradictions, qui ont marqué les propos et les actions de Barack Obama et de son équipe, en sont la preuve éclatante. Une Amérique forte aurait dû être déterminée, confiante et cohérente.
Le président américain était d’ailleurs mal parti dans son aventure guerrière. En fixant une «ligne rouge» à ne pas franchir à Bachar el-Assad, il s’est lui-même pris dans un piège qui s’est finalement refermé sur lui, un certain 21 août. L’opinion publique américaine, nourrie depuis cinq ans au biberon du désengagement des guerres d’Irak et d’Afghanistan, se voit soudain invitée à cautionner une intervention militaire dans un conflit improbable, où elle ne parvient pas à distinguer clairement les bons des méchants. Plus la campagne, lancée par Obama et son équipe pour convaincre les Américains du bien-fondé d’un engagement en Syrie, s’intensifiait, plus la proportion des opposants augmentait. Le 9 septembre, ils étaient 63% à refuser la guerre.
Privé, depuis le début de la crise syrienne de la couverture de la légalité internationale à cause des veto sino-russes au Conseil de sécurité, Barack Obama découvre que la couverture populaire aussi lui fait défaut. Il se rabat alors sur la couverture politique interne qu’il sollicite auprès du Congrès. Mais là aussi, les résultats sont incertains, surtout à la Chambre des représentants. Demander aux élus de soutenir une guerre impopulaire, à deux mois des élections partielles, était une grave erreur d’appréciation de la part de l’Administration. Entre-temps, Obama avait perdu la couverture des alliés, après la désaffection de la Grande-Bretagne et des autres pays européens – à l’exception de la France – et l’absentéisme de ses alliés traditionnels, le Canada et l’Australie.
C’était donc un Barack Obama sans couverture légale, politique et populaire et sans coalition, qui se présentait sur le champ de bataille. Quand bien même il décidait de passer outre ces insuffisances, d’autres obstacles se dressaient sur son chemin. D’abord la Russie. Tout en prônant la solution diplomatique, Moscou rassemblait, face à la flotte américaine en Méditerranée, une escadre navale de plus en plus nombreuse. Même à l’époque de la guerre froide, les deux puissances internationales ne s’étaient jamais fait face de la sorte. Dans le même temps, la Russie ripostait coup par coup aux arguments américains sur la Syrie, en proposant ses contre-arguments. Qu’ils soient politiques, diplomatiques, médiatiques et militaires, aucun des champs de confrontation n’a été laissé libre aux Américains.
Autre obstacle, et non des moindres, la difficulté pour Washington de mesurer la nature et la magnitude de la riposte de la Syrie et de ses alliés.
Pour toutes ces raisons, Barack Obama s’est empressé de saisir la perche que lui a tendue la Russie à travers son initiative. L’histoire nous dira si ce n’est pas le président américain qui l’a lui-même chuchotée à l’oreille de son homologue russe lors de leur bref entretien en marge du G20.
Cela signifie-t-il que Bachar el-Assad a vaincu Obama? Certes, le président syrien voit la frappe qui aurait pu menacer son régime s’éloigner. Mais le prix qu’il a payé n’est pas des moindres. Il devra démanteler son arsenal chimique, qui constitue sa principale arme de dissuasion stratégique face à l’arsenal nucléaire israélien.
La Russie, elle, n’engrange que des dividendes dans ce bras de fer. Elle s’impose comme puissance incontournable sur la scène internationale et acteur de premier plan en Méditerranée orientale.
Paul Khalifeh
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