Radicalization of the Tea Party

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La paralysie de l’administration fédérale est le dernier épisode d’une offensive très dure menée depuis 2009 par le Tea Party, l’aile ultradroitière du Parti républicain, pour qui l’Etat fédéral n’est pas qu’un “problème”, comme le disait jadis Ronald Reagan, mais un ennemi à affaiblir autant que possible. Le Tea Party n’est pas né de nulle part : il est un avatar de la renaissance conservatrice entamée dans les années 1960, lorsqu’un ensemble hétéroclite de mécontents commença à se constituer, dénonçant pêle-mêle les programmes d’assistance sociale au motif qu’ils maintenaient les pauvres dans la pauvreté et augmentaient les impôts, la gestion des terres fédérales dans l’Ouest, et l’intervention fédérale pour les droits civiques des Noirs qui scandalisait une partie importante de la population blanche du Sud.

La nouveauté du Tea Party n’est donc pas tant son idéologie que sa stratégie politique jusqu’au-boutiste, menée au mépris du fonctionnement normal de l’Etat. Au moyen d’une guérilla parlementaire sans merci, les élus du Tea Party accommodent la bonne vieille recette du conservatisme radical, avec ses ingrédients classiques, y compris le fond de sauce le plus rance, celui que les observateurs évoquent rarement tant il semble renvoyer les Etats-Unis à leurs vieux démons: la question raciale. Bien entendu, il n’est pas possible pour les porte-parole du Tea Party – sauf quand un lapsus ou une imprudence les trahissent – de revendiquer une quelconque identité blanche. Ces élus ne parlent que de budget fédéral équilibré, d’assécher financièrement l'”Obamacare” (la loi sur l’assurance-santé), et autres thèmes apparemment dépourvus d’enjeu racial.

Si les dépenses militaires trouvent grâce aux yeux de la plupart des élus du Tea Party, ce sont les programmes sociaux qui suscitent leurs diatribes les plus violentes: les dépenses fédérales visant à réduire les injustices sociales sont illégitimes et contre-productives, et il en va de même pour la progressivité de l’impôt sur le revenu. Bien entendu, la loi sur l’assurance-santé qui se met en place en ce moment les exaspère, tant elle leur paraît représenter une forme d’Etat “socialiste”. Plus généralement, c’est ce qui reste de l’Etat-providence héritier du New Deal, avec la création de la sécurité sociale, les emplois publics, la réduction des écarts de richesse, et, depuis les années 1960, l’assurance-maladie pour les très pauvres et certaines personnes âgées, qui est dans leur ligne de mire.

Or, ces questions sont d’un intérêt particulier pour les minorités, qui composent la moitié des 40 millions de non-assurés aux Etats-Unis. Un tiers des Américains noirs et les deux tiers des Hispaniques n’ont pas de couverture santé, ce qui n’est le cas “que” pour un cinquième des Américains blancs. Les Noirs et les Hispaniques reçoivent des soins médicaux moins bons, meurent bien plus que la moyenne nationale de diabète, de cancer et d’infarctus, y compris ceux qui sont (souvent mal) assurés.

HYSTÉRIE DE “LA VRAIE AMÉRIQUE”

Actuellement, 71 % des Américains blancs sont couverts par une assurance liée à leur emploi, ce qui n’est le cas que pour un tiers des Hispaniques et la moitié des Afro-Américains. Dans les Etats dont les populations noire ou hispanique sont les plus fortes, comme l’Alabama ou le Texas, la nouvelle loi aura les effets les plus nets, tant l’accès aux soins y est déplorable. La loi Obamacare est donc une très bonne nouvelle pour des millions d’Américains. Elle devrait réduire les disparités géographiques et ethno-raciales de santé publique aux Etats-Unis.

En ciblant l’Obamacare avec une telle pugnacité, et avec tant de ressources (les frères Koch, des milliardaires d’extrême droite, ont dépensé des centaines de millions de dollars pour faire échec à la loi), les stratèges du Tea Party tracent implicitement une frontière entre “leur” Amérique, celle que Sarah Palin appelle “la vraie Amérique” (“real America”), blanche, chrétienne, et l'”autre” Amérique, plus urbaine, plus colorée, plus pauvre aussi, celle qui a intérêt à l’intervention de l’Etat fédéral et à une hausse de l’impôt sur le revenu pour financer des programmes sociaux.

Enfin, le fait que cette loi ait Barack Obama pour principal architecte hystérise les électeurs du Tea Party. Des enquêtes ont montré qu’ils n’essaient pas, pour la plupart, de comprendre les détails de la loi (qui est, il est vrai, d’une grande complexité) ni même ses principes généraux. De fait, un certain nombre de ces Américains ultraconservateurs ont, pour eux-mêmes et leur famille, objectivement intérêt à la loi, mais pour le moment ils n’en ont cure: la présence d’un homme noir à la Maison Blanche les ulcère, les obsède. La loi d’assurance-santé est à leurs yeux un symptôme supplémentaire d’une dérive imaginaire: l’Etat fédéral dépense sans compter au profit des “autres”.

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