Ce président a séduit les foules et s’est attiré beaucoup de sympathie dans le monde, mais il lui manque la souplesse nécessaire pour être un bon diplomate
Il y aura bientôt cinq ans, le 4 novembre 2008, Barack Obama, élu président des États-Unis, s’adressait à une foule en délire à Chicago. Nous étions plusieurs au Québec et un peu partout dans le monde à applaudir l’avènement d’un Afro-Américain à la tête de son pays. Tous les espoirs étaient permis. Obama s’engageait à « promouvoir la cause de la paix ». Réaffirmant par sa seule présence le rêve américain, il énonçait une nette volonté de changement tout en ne se cachant pas les difficultés qui l’attendaient : « Nous savons que les défis que demain nous apportera seront les plus grands de notre vie : deux guerres, une planète en péril, la pire crise financière depuis un siècle. »
Quel contraste avec le piètre spectacle que nous offre aujourd’hui la présidence américaine ! Le cynisme et les doutes de ceux qui disaient alors « nous ne pouvons pas » semblent bien confirmés par la situation actuelle. Ce président qui nous promettait la paix a poursuivi discrètement la « guerre à la terreur » de son prédécesseur en accentuant le recours aux assassinats ciblés et l’utilisation éhontée des avions-robots qui terrorisent des populations et n’épargnent pas des vies innocentes de femmes et d’enfants. Il s’est embourbé en Afghanistan dans la plus longue guerre de l’histoire des États-Unis au point d’en sortir sans honneur, laissant ce pays dans la misère et le contrôle partiel des ennemis talibans, au prix de milliers de vies et de désastres écologiques sans nom. L’ignoble prison de Guantanamo existe toujours. Obama n’arrive pas à définir une stratégie de paix au Moyen-Orient. Il cède l’initiative à la Russie pour ce qui est de la guerre civile qui fait rage en Syrie. Rien de bien exaltant pour célébrer le 5e anniversaire de cette victoire enivrante !
Pourtant, à y regarder de plus près, Obama est toujours fidèle à lui-même. Un homme intelligent, ambitieux en proie aux contradictions. À la fois idéaliste et réaliste. Homme de paix et mauvais diplomate. Rassembleur et semeur de divisions.
Idéaliste et réaliste
L’idéal d’Obama est bien apparu dans les grands discours qu’il a prononcés en divers points de la planète au cours de la première année de son mandat. Au Caire surtout, il annonce déjà, pourrait-on dire, le printemps arabe. Ces discours animés par un parti pris pour les solutions pacifiques lui valent le prix Nobel de la paix. Un prix qui apparaît à plusieurs comme non mérité, en raison de la présence continue des soldats américains en Afghanistan. Obama s’en explique dans son discours de réception à Oslo (décembre 2009), qui révèle bien son état d’esprit en proie aux hésitations et aux contradictions : « Aussi justifiée soit-elle, la guerre promet une tragédie humaine. […] La guerre elle-même n’est jamais glorieuse et nous ne devons jamais la claironner comme telle. »
C’est ainsi que notre défi consiste en partie à concilier ces deux vérités apparemment inconciliables, à savoir que la guerre est parfois nécessaire, et qu’elle est, à un certain niveau, une expression de la folie humaine.
Voilà donc un idéalisme rarement porté si haut par un président américain. Mais un idéalisme tempéré par un réalisme qui lui est inspiré, selon un analyste américain (James Kloppenberg), par son adhésion à la philosophie pragmatiste de William James et John Dewey selon laquelle la moralité de nos actions doit être évaluée en fonction de leurs conséquences pratiques. La pensée d’Obama est aussi marquée, comme l’a fait valoir Gilles Vandal (La doctrine Obama et, avec Sami Aoun, Barack Obama et le printemps arabe), par la grande école de pensée dite réaliste annoncée par le théologien protestant Reinhold Niehbur et le diplomate George Kennan.
Obama a voulu à la fois faire siens les grands idéaux du libéralisme internationaliste et demeurer le commandant en chef que souhaite la majorité des Américains, soucieux de défendre les intérêts de son pays par la force au besoin tout en acceptant les paramètres de l’esprit militariste qui règne à Washington. Une constante recherche d’équilibre qui s’est transformée souvent en interminables hésitations.
Ainsi, en mai dernier, il annonçait un recours moins fréquent aux bombardements furtifs tout en avouant sa honte d’y avoir eu recours […]. Mais les drones ont continué de s’abattre par la suite. Un drame quasi shakespearien, a-t-on noté : le président nous assure qu’il ne le fera plus et il le fait tout de même ! L’intervention en Libye peut encore être considérée comme un modèle d’équilibre en ce qu’elle constituait un autre usage de la force, usage qui se voulait discret (« leadership from behind ») tout en laissant les alliés européens prendre les devants.
Enfin, l’attitude d’Obama vis-à-vis de la Syrie révèle un dilemme insurmontable. Une nette volonté d’échapper au bourbier de l’intervention tout en se laissant aller à établir la ligne rouge de l’utilisation des armes chimiques par Assad et en se voyant forcé d’envisager l’intervention militaire. C’est Poutine le mal-aimé qui sauve le président de l’embarras. Obama en vient à accepter le compromis fourni par celui-là même qui venait de l’insulter en accordant l’asile au dissident américain Edward Snowden.
Homme de paix et mauvais diplomate
Obama apparaît donc comme un mauvais diplomate. Lui qui ne cesse de prôner la diplomatie, la main tendue, et les négociations – même avec des interlocuteurs qui apparaissent nettement hostiles, comme l’Iran. Lui qui cherche sans relâche à entraîner Israël et l’Autorité palestinienne vers le dialogue, quitte à subir les rebuffades d’un Congrès qui applaudit à tout rompre Netanyahou, le réfractaire.
C’est là une grande lacune de cette présidence d’avoir fait si piètre figure dans les relations avec le Congrès. Même au moment où son parti contrôlait à la fois le Sénat et la Chambre des représentants, Obama n’a pas entretenu avec les législateurs des relations qui pourraient se comparer à celles de ses prédécesseurs. Malgré sa bonne volonté, un discours qui se veut chaleureux et amical, Obama demeure souvent hautain et froid devant ceux qu’il se devrait d’amadouer. On a dit du président qu’il doit être avant tout un homme de persuasion, un « persuader in chief ». Obama a pu séduire des foules, s’attirer beaucoup de sympathie sur la scène internationale. Mais il n’a pas été homme de compromis, de souplesse et de séduction comme se doit de l’être un diplomate. Il n’a guère réussi à ce titre ni à l’extérieur ni à l’intérieur de son pays.
Volonté de rassemblement et source de division
Il se promettait pourtant d’être un homme de rassemblement. Il voulait qu’on oublie les allégeances partisanes. Il s’est retrouvé avec un Parti républicain déchaîné contre lui.
On aurait tort de lui en faire grief. Son intention de faire oublier et transcender les luttes internes était fort louable. C’était sans compter l’opposition sans limites que lui a vouée dès le départ une faction militante du Parti républicain. Le « Tea Party » a été créé dès les premières heures du gouvernement Obama. Dès ce moment, ces enragés endossaient la proposition du populaire et populiste commentateur radiophonique Rush Limbaugh : « I wish he fails » (je souhaite qu’il échoue). Faire tomber ce président que certains dénomment encore « islamiste socialiste » est devenu l’objectif ultime, au-delà de toute autre cause, même le bien du pays, même le bien du Parti républicain.
Il n’est pas impensable qu’Obama en vienne à surmonter cette opposition et à rassembler une forte majorité d’Américains face aux excès du « Tea Party » dans un contexte de division qui rappelle presque la terrible guerre de Sécession d’il y a 150 ans.Il n’est pas impensable non plus qu’il en vienne à réaliser un grand coup diplomatique en concluant un accord avec un gouvernement iranien plus que jamais disposé au compromis.
Pour ce qui est de l’affreuse situation dans laquelle l’a placé la redoutable Agence de sécurité nationale (NSA) du ministère de la Défense, il sera certes moins aisé pour le président de faire croire qu’il n’a pas lui-même autorisé les insolentes écoutes électroniques sur toute la surface de la planète. C’est là aussi un terrible coup pour le nouveau secrétaire à la Défense, Chuck Hagel, dont relève la NSA, qui pourtant annonce une attitude plus pacifique et plus respectueuse de la part du Pentagone. Pas si facile de dompter la bête militaire, carrément devenue un État dans l’État !
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