Bill de Blasio ou le réveil de la gauche aux Etats-Unis
C’est entendu, Bill de Blasio a gagné la mairie de New York parce que sa famille est à l’image de la démographie de la ville : 28,6% d’Hispaniques, 25,5% de Noirs, 8,2% d’Italo-Américains, 4% d’homosexuels [PDF], etc. Risquons une autre hypothèse : il a aussi gagné – et très largement – parce qu’il est solidement ancré à gauche.
Bill de Blasio n’est pas seulement le candidat des minorités : c’est aussi un homme aux convictions économiques bien trempées, et qui entend rompre avec l’ère « pro-business » de Bloomberg.
Il a fait campagne contre la progression des inégalités et pour mettre fin à ce « conte des deux cités » – celle des riches et celle des pauvres, une référence à Dickens. Il entend augmenter les impôts sur les plus aisés et financer des crèches. Pour l’équipe sortante de Bloomberg, il représente le retour aux années 70.
La gauche a existé aux Etats-Unis
Certains vont plus loin. Dans un récent article sur TheDailyBeast.com, le chroniqueur Peter Beinart suggère que la percée de Bill de Blasio pourrait incarner un point de bascule : sa victoire pourrait marquer le début de la fin d’une ère de plus de trente ans au cours de laquelle la bipolarisation de la vie politique américaine se jouait entre la droite du Parti républicain (fidèle à Ronald Reagan) et la droite du Parti démocrate (inspirée par Bill Clinton).
On l’a presque oublié, mais la gauche a existé aux Etats-Unis. Une vraie gauche, non marxiste certes, mais encourageant l’égalité, l’intervention publique, le syndicalisme, la protection des faibles, et de solides tranches d’impôts sur les plus riches.
Cette gauche-là, celle de Roosevelt, a été cassée par l’arrivée de Ronald Reagan au pouvoir, en 1980, avec sa cohorte de « Chicago boys » et autres idéologues néo-conservateurs. La puissance du discours ultralibéral fut telle qu’elle contamina non seulement les partis conservateurs de bien d’autres pays, mais aussi le Parti démocrate américain lui-même. En cela, la « troisième voie » de Bill Clinton est un fruit du « reaganisme ». Le « clintonisme » et ses avatars européens (« blairisme » en Grande-Bretagne, « deuxième gauche » en France) avaient en commun de chercher à réconcilier la gauche avec le libéralisme économique.
Certes, les démocrates de New York sont traditionnellement plus à gauche que ceux du reste du pays. Mais l’ampleur de la victoire de Bill de Blasio est si impressionnante qu’elle ne manquera pas de faire réfléchir les stratèges du parti.
Ils savent en effet que la vie politique américaine est capable de grands mouvements de balancier, qui correspondent à des renouvellements de générations mais aussi à des crises : la crise de 29 a débouché sur Roosevelt et son New Deal ; le choc pétrolier, sur Reagan et son néolibéralisme. Il ne faut pas exclure que la crise des subprimes ait un impact profond sur la vie politique.
Le Tea Party, un feu de paille ?
On aurait pu penser que le bouleversement viendrait de la droite, mais non. Le Tea Party n’aura peut-être été qu’un feu de paille. Les déconvenues électorales récentes des Républicains soutenus par ce mouvement semblent en tout cas indiquer que ce n’était pas la lame de fond que l’on pouvait craindre.
L’évolution démographique des Etats-Unis (de moins en moins de Wasp) et son évolution sociale (de plus en plus d’inégalités) ne favorisent pas la progression du discours réactionnaire du Tea Party, qui prône le retour au valeurs traditionnelles et le rejet de la solidarité publique.
Et on voit mal comment la tendance pourrait s’inverser : une étude [PDF] conduite par deux économistes démontre que les générations qui sont passées à l’âge adulte en période de crise économique sont plus favorable à la redistribution sociale que les autres. La génération des « Millenials » (ceux qui avaient moins de 20 ans en l’an 2000) est aussi la génération « Occupy Wall Street »…
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