Etats Unis: le drame de Dearborn Heights
Dans un quartier résidentiel de Detroit, une jeune Noire a été abattue le 2 novembre par un résident blanc. À bout portant et sans sommation. Une sale affaire qui témoigne d’une recrudescence des tensions raciales dans le pays.
Personne n’a oublié l’affaire Trayvon Martin, cet adolescent noir tué en février 2012 dans un lotissement de Floride par un vigile nommé George Zimmerman. Au cours de l’été dernier, ce dernier (qui vient à nouveau d’être arrêté pour avoir menacé sa compagne avec une arme) avait finalement été acquitté par la justice. L’émotion suscitée à travers le pays par ce jugement inique avait conduit Barack Obama, généralement avare de ce genre de confidence, à évoquer publiquement son expérience d’homme noir aux États-Unis.
Or le 2 novembre, un drame similaire a eu lieu à Detroit, Michigan. Cette nuit-là à Dearborn Heights, quartier résidentiel blanc situé dans l’ouest de la ville, Renisha McBride, une jeune Africaine-Américaine (19 ans) passablement éméchée, perd le contrôle de son véhicule et provoque un accident sans gravité. Hagarde, elle refuse l’aide des riverains et disparaît. Quelques heures plus tard, elle réapparaît sur le perron d’une maison. Le propriétaire se nomme Theodore P. Wafer. Il est blanc, est âgé de 54 ans et exerce la profession d’agent de sécurité à l’aéroport de la ville. Croyant à un cambriolage, il tire à bout portant, et sans sommation, dans le visage de la jeune fille, qui est tuée sur le coup.
Le facteur racial en jeu ?
Detroit est une ville si pauvre que, le 18 juillet dernier, elle a officiellement été déclarée en faillite. Alors les esprits s’y échauffent vite. La communauté africaine-américaine ne comprend pas qu’il ait fallu deux semaines pour que le tueur présumé soit arrêté – comme dans la triste affaire Martin. Kym Worthy, la procureure (noire) de la ville, fait savoir que le facteur racial n’a joué aucun rôle dans le drame, mais la famille de la victime n’y croit pas une seconde. Et la majorité de la communauté africaine-américaine non plus. Légitime défense ? Vous plaisantez ? Comment une jeune femme non armée pouvait-elle présenter un danger imminent justifiant qu’elle soit abattue ?
Une responsable communautaire relève que ce genre d’affaire n’est pas rare aux États-Unis. Un exemple ? En septembre, à Charlotte, Caroline du Nord, Jonathan Ferrell, 24 ans, venu de Floride en voiture pour rejoindre sa compagne, cherche de l’aide après un accident. Il est tué de dix balles par un officier de police. Encore une fois, sans sommation. “Si Jonathan n’avait pas été noir, le policier ne lui aurait-il pas posé quelques questions avant de lui tirer dessus ?” s’interroge l’avocat de la famille.
Cette fois, le policier est mis en examen quelques heures plus tard. C’est la première fois à Charlotte en plus de trente ans. Mais Ferrell est dans cette même ville la sixième personne à avoir essuyé des tirs de la police depuis 2012. “Toujours la même histoire”, commente la responsable locale de la National Association for the Advancement of the Colored People (NAACP), qui s’est portée partie civile.
“Racial Profiling”
Moins dramatique mais tout aussi révélatrice, la récente arrestation de deux jeunes clients noirs qui faisaient leurs emplettes dans un magasin de luxe new-yorkais. Aujourd’hui accusés de racial profiling, les responsables dudit magasin étaient convaincus qu’ils n’en avaient pas les moyens… Le scandale éclabousse le rappeur et businessman Jay-Z, associé au magasin dans la création d’une ligne de vêtements, et qui, sous la pression, vient d’annuler la soirée de lancement. Comme quoi, l’Amérique a peut-être moins changé qu’on ne le croit. Quand il était jeune, Barack Obama n’était-il pas souvent surveillé de près dans les supermarchés ?
Quoi qu’il en soit, le deuxième mandat du président a tendance, sur le plan politique, à se focaliser davantage que le premier sur la question raciale. La raison en est simple : la résistance aux relents souvent nauséabonds opposée par les conservateurs blancs réunis sous la bannière du Tea Party aux réformes en cours, censées profiter en premier lieu aux minorités.
L’Obamacare, la fameuse loi sur l’assurance santé (dont la mise en oeuvre est au demeurant calamiteuse), est ainsi soutenue par 60 % des Noirs et par seulement 55 % des Blancs. Même chose pour le projet de loi sur l’immigration, qui devrait aboutir à la régularisation de quelque 11 millions de clandestins : 63 % des Noirs sont pour, et seulement 51 % des Blancs. Les républicains viennent d’ailleurs de repousser à 2014 l’examen du projet de loi.
Empêcher les minorités de voter
À l’instigation du Tea Party, les républicains ont aussi drastiquement diminué le programme de distribution de bons alimentaires – les food stamps – aux familles les plus pauvres, dont la majorité se trouve être noire. Dans les États qu’ils contrôlent, ils ont adopté des lois très strictes concernant les pièces d’identité qu’il est nécessaire de produire avant d’être autorisé à voter. Leur but, de plus en plus ouvertement avoué, est de réduire le taux de participation des minorités – lesquelles ont fâcheusement tendance à voter démocrate. Un responsable du parti en Caroline du Nord a ainsi affirmé dans un talk-show télévisé que la loi votée dans son État empêcherait de voter “ces bandes de Noirs paresseux qui veulent que le gouvernement leur donne tout”. Devant le tollé provoqué, il a été contraint de démissionner.
Quant à Rand Paul, sénateur ultraconservateur du Kentucky et candidat à la primaire républicaine de 2016, il cosigne son dernier livre, The Tea Party Goes to Washington, “le Tea Party monte à Washington”, avec un ancien présentateur de radio qui a créé un personnage de superhéros, le “vengeur des États du Sud”, portant un masque aux couleurs du drapeau confédéré…
Comme l’indique un observateur : “Peu de Blancs conservateurs envisagent la présidence Obama en termes raciaux. Mais ils sont en revanche très conscients que le poids des minorités ne cesse de s’accroître. La base républicaine a la nette impression qu’elle est en train de perdre le contrôle du pays.” Ce qui correspond d’ailleurs à une réalité démographique : les Blancs représenteront vers 2043 moins de la moitié de la population américaine. Ce glissement de terrain pose au Parti républicain un dilemme existentiel. Pour survivre, il doit s’attirer les faveurs des minorités, par le biais notamment d’un assouplissement de sa position sur l’immigration. Mais ce faisant, il court le risque de s’aliéner sa base blanche conservatrice.
Le spectre des tensions raciales continue donc de hanter le pays, mais devrait s’atténuer à terme en raison de la plus grande tolérance dont fait preuve la majorité des jeunes Américains. Comme l’explique dans une note le Center for American Progress, un think tank libéral : “Au fur et à mesure que les nouvelles générations remplacent les anciennes, les inquiétudes vis-à-vis de la diversité s’estompent.”
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