Iran: l’Américain disparu depuis 2007 était un free lance de la CIA
C’était une énigme vieille de près de dix ans. L’ancien agent américain du FBI Robert Levinson, disparu en 2007 sur l’île iranienne de Kish, était en fait une petite main envoyée par des agents de la CIA, qui n’avaient pas reçu l’aval de leur hiérarchie. Un has been qui trompa des gratte-papiers de la centrale américaine du renseignement en mal d’affaires explosives.
Le pot aux roses vient d’être révélé par l’agence AP et le Washington Post, qui ont enquêté sur cette mystérieuse disparition. Levinson s’était volatilisé en mars 2007, quelques jours après être arrivé à son hôtel sur l’île de Kish au large du territoire iranien.
L’homme, alors âgé de 59 ans, est devenu enquêteur privé après une carrière au FBI, et ses fréquents déplacements intéressent des analystes de Langley, qui travaillent sur les circuits financiers illicites qui permettent à la république islamique d’Iran de contourner l’arsenal des sanctions internationales qui lui est imposé en raison de ses ambitions nucléaires. Anne Jablonski l’embauche à titre contractuel pour lui faire des rapports. “Buck”, le nom de code de Levinson, se pique à l’idée de jouer sur le tard les James Bond.
De son côté, “Toots” – pseudonyme de Melle Jablonski dans les emails qu’elle adresse à Buck- pense avoir flairé le bon indicateur, lorsqu’au début 2007 Levinson lui assure connaître un informateur, familier des circuits de la corruption en Iran, pays ennemi des Etats-Unis qui l’accusent d’aider des mouvements terroristes comme le Hezbollah libanais et de fabriquer la bombe à des fins militaires.
La source s’appelle Dawoud Salahudin, il est américain, et il a réussi à s’introduire parmi la nomenklatura iranienne, après s’être réfugié à Téhéran pour cause d’assassinat d’un proche du shah d’Iran en 1980 aux Etats-Unis ce qui lui vaut depuis d’être recherché par Washington. Mais depuis ce 9 mars 2007, où il quitte sa chambre du Maryam Hôtel de Kish avant de prendre le taxi pour rencontrer Dawoud Salahudin, la trace de Levinson se perd.
Pour le public, il a toujours été présenté comme un Américain disparu lors d’un voyage privé dans le Golfe persique. Les connaisseurs des arcanes de la guerre de l’ombre avaient flairé l’entourloupe. Ce qui n’empêchait pas le département d’Etat de le présenter, il y a quinze jours encore, comme l’otage américain retenu le plus longtemps de toute l’histoire du pays. Mais jusque-là, motus et bouche cousue étaient les mots d’ordre.
En 2010, sa famille reçut bien une dernière preuve de vie où l’on voit Levinson déguisé en prisonnier de Guantanamo quémander l’appui de son gouvernement pour être libéré. Mais en même temps, les autorités américaines achetèrent le silence de la famille Levinson contre 2,5 millions de dollars et la promesse de ne pas engager de poursuite susceptible d’éventer l’affaire. L’Iran de Mahmoud Ahmadinejad devait rester sur l’Axe du mal. Pas question de révéler au grand jour les activités troubles du free lance de la CIA.
Mais comme le soulignent AP et Le Washington Post dans leur enquête publiée jeudi, la Centrale de renseignement a commis de « graves erreurs » dans cette affaire. La CIA fut d’abord lente à réagir. D’autre part, l’opération n’avait pas été approuvée et la direction n’était même pas au courant de la commande passée par Anne Jablonski à son contact à Kish. Celle-ci, ainsi que neuf autres analystes de l’espionnage américain, seront finalement poussés à la démission ou feront l’objet de sanctions disciplinaires. Quelques mois plus tard, la CIA finira par informer le Congrès, la Maison Blanche et le FBI de la réelle affiliation de Robert Levinson.
Selon AP, « Les Etats-Unis ont toujours soupçonné mais n’ont jamais pu prouver que Levinson avait été enlevé par les forces de sécurité iraniennes ».
Embarrassée la CIA n’a pas réagi, mais l’administration Obama a, de son côté, regretté qu’AP ait diffusé ces informations. « L’enquête sur la disparition de M. Levinson se poursuit et nous sommes tous déterminés à le ramener sain et sauf à sa famille », a déclaré la porte-parole du Conseil de sécurité nationale, Caitlin Hayden.
Fin août, le secrétaire d’Etat, John Kerry, a demandé à Téhéran d’aider à localiser Robert Levinson. En septembre, le nouveau président iranien Hassan Rohani a affirmé sur CNN ne pas savoir où il se trouvait. Barack Obama avait même mentionné le cas de Robert Levinson, ainsi que ceux de deux autres Américains retenus, durant son coup de téléphone à Rohani, à la fin de septembre, premier contact direct entre des dirigeants des deux pays en plus de trente ans.
Nul ne sait si l’ancien agent du FBI est encore en vie. Si c’est le cas, le malheureux otage sera tôt ou tard monnayé par Téhéran, où l’on a toujours gardé le silence sur cette affaire. En attendant le bon moment pour négocier avec l’ex « Grand satan ».
Une histoire qui montre que sur des pays difficiles à pénétrer comme l’Iran ou la Syrie, la communauté du renseignement est prête à recourir à tous les tuyaux percés pour combler son manque d’informations fiables….
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