Snowden: The ‘Affair’ of 2013

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Quand il a trouvé asile en Russie cet été après ses révélations sur l’étendue des activités de surveillance de la NSA, Edward Snowden avait tout l’air d’un traître résolu à confier à l’ennemi les secrets les plus précieux de son pays. L’accueil que lui réservait Vladimir Poutine était un coup de maître dans la nouvelle guerre froide où sombrait notre univers mondialisé.

Six mois plus tard, cette analyse paraît en deçà de la réalité. Les dégâts causés par l’ancien informaticien confirment la gravité de l’« affaire Snowden », au moment où cyberespace est devenu l’un des enjeux principaux de la gouvernance internationale, comme en attestent les travaux de la World Policy Conference que vient d’organiser l’IFRI à Monaco.

Depuis juillet, il ne se passe pas de semaine sans que des fuites détaillent les écoutes auxquelles sont soumis des dirigeants comme Angela Merkel en Allemagne, ou Dilma Roussef au Brésil, des entreprises et des gouvernements alliés, ou bien les citoyens de chaque pays visé par cette campagne insidieuse. Snowden ayant eu accès à 1,7 million de documents de la NSA, dont les plus sensibles n’auraient pas encore filtré, le travail de sape n’est pas fini. L’énumération des fuites, la géographie de leurs effets et leur étalement dans le temps donne à penser que l’objectif consiste à perturber les relations entre les Etats-Unis et leurs alliés pour porter atteinte à l’Occident.

Avec le Brésil et avec l’Allemagne, la tempête diplomatique se solde par un malaise durable. Les Etats-Unis consentent à cesser les écoutes personnalisées des dirigeants alliés mais refusent de s’engager au-delà. Désormais, le comportement des services de renseignement est à l’ordre du jour des contacts diplomatiques.

Les responsables américains s’offusquent de l’ « hypocrisie » de ce débat. Depuis la nuit des temps, tout le monde espionne tout le monde. Il n’y aurait rien de nouveau sous le soleil. Le risque terroriste suffit à justifier la surveillance, dans la foulée du Patriot Act adopté après le 11 septembre 2001. Les nouvelles technologies fournissent des outils que l’ennemi maîtrise aussi bien que nous, relèvent-ils. Il serait suicidaire de ne pas s’en servir. Au lendemain de la « défection » de l’ancien consultant de la NSA, Barack Obama pouvait ramener le problème à la recherche d’un « équilibre » entre surveillance et protection des données privées. Mais entre temps les choses se sont bien compliquées.

Les grands opérateurs d’Internet, qui sont tous américains (Google, Facebook, Apple, Microsoft, Twitter, Yahoo ….), s’alarment : l’étendue de leur collaboration avec la NSA désormais sur la place publique est une très mauvaise publicité à l’étranger. Pour préserver leur monopole sur la toile mondiale, ils exigent une réforme des pratiques des agences de surveillance américaines. Le risque d’une « balkanisation » d’Internet est en effet réel. Chaque pays comme la Chine, la Russie ou bien maintenant le Brésil peut être tenté d’ériger des barrières pour se protéger de l’espionnage des Etats-Unis. Sans libre circulation de l’information, la perte de croissance pour l’économie mondiale serait incalculable. Les régimes autoritaires, eux, pourraient prospérer.

Les firmes de la Silicon Valley se sont constituées en lobby pro-libertés. Le secteur le plus innovant outre-Atlantique est un puissant groupe de pression qui s’oppose à celui, tout aussi puissant, de la sécurité et du renseignement, et apporte de l’eau au moulin de Snowden et de ses admirateurs, pour la plupart des jeunes militants de la transparence à tout crin, hostiles à toute « raison d’Etat », et décidés à défendre une liberté sans entraves sur le Net. Un juge fédéral, pourtant nommé par George W. Bush, vient s’ajouter sa voix aux dénonciations d’une surveillance « quasi-orwellienne».

L’ «affaire Snowden» a d’abord discrédité la politique étrangère de Washington en révélant sa contradiction fondamentale: elle prétend défendre partout les libertés individuelles mais les enfreint massivement sous couvert de lutte contre le terrorisme. Les révélations sur les pratiques de surveillance intrusive fragilisent maintenant le système démocratique américain et le modèle économique contemporain.

Entre la défense des intérêts commerciaux des géants de l’Internet et le besoin de sécurité exprimé par les agences de renseignement, Barack Obama va devoir trouver le point d’équilibre. Quant aux Européens, ils sont marginalisés, n’ayant pas su se doter d’opérateurs de l’Internet capables de rivaliser avec les américains. C’est pourtant une bataille qui préfigure les grands enjeux de la politique internationale des prochaines années.

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