American Philosophy Is Looking To Feminize Itself

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En 2013, une grave question est venue tarauder les penseurs américains : pouvez-vous nommer cinq femmes philosophes ?

Le “scumbag philosopher”, le “philosophe pourri”, meme populaire, ici employé pour dénoncer le sexisme. “Il utilise le pronom ‘elle’ pour chacun de ses exemple, mais ne cite jamais d’auteurs féminins”.

Baltimore vient d’accueillir, du 27 au 30 décembre, un étonnant rite d’initiation, la cooptation d’une nouvelle génération de philosophes par leurs aînés. Les universités mettent à profit la trêve des confiseurs pour faire leur recrutement. C’est à cette période que se tient chaque année le congrès de l’Association américaine de philosophie (APA) qui donne lieu à une vaste bourses à l’emploi. De quoi gâcher le Noël d’anxieux candidats.

Venue de Chicago, Deborah Goldgaber a fait le déplacement, plus de 1100 kilomètres dans l’espoir de trouver un poste. Le Grinell College, prestigieuse institution d’enseignement universitaire, souhaitait la rencontrer et s’est montrée intéressée par ses travaux sur le XXe siècle français. «Cela fait trois ans que je cherche un CDI. Je cumule les CDD, sans savoir où j’habiterai dans un an, si je ne devrai pas déménager parce que l’on m’aura offert un poste ailleurs que dans l’Illinois.»

A Baltimore, le fait d’être femme lui confère cependant un atout, car la profession, ébranlée par une profonde remise en question, cherche à se féminiser. Dans les facs de philo, seulement un poste sur cinq serait occupé par une femme, selon un décompte fait de manière artisanale – aucun chiffre officiel n’existe. Le débat couvait depuis quelques années, mais c’est la démission d’un prof star après des accusations pour harcèlement sexuel en décembre 2012 qui a mis le feu aux poudres. A l’été, les prises de position se sont multipliées et The New York Times a publié en septembre une série de tribunes sur l’accueil que la philosophie réserve aux femmes.

La mobilisation en ligne va bon train. Un peu à la manière de La Barbe en France, un blog fait par exemple la recension de toutes les conférences organisées sans qu’une seule femme n’y soit invitée.

Jennifer Saul, une philosophe américaine établie au Royaume-Uni, est en pointe sur le sujet. Elle anime depuis 2010 le blog « being a women in philosophy » où elle s’emploie à défendre la cause des femmes. «Nous ne savons pas comment expliquer ce décalage. Peu d’enquêtes sociologiques ont été menées pour comprendre le retard pris par la philosophie », dit-elle. Différentes études sont en cours et l’hypothèse la plus répandue voudrait qu’un «préjugé inconscient» fasse barrage à une candidature si celle-ci ne correspond pas à l’image traditionnelle que l’on se fait d’une profession.

Deborah Goldgaber a suivi avec intérêt ces débats. Et en disciple de la tradition continentale, elle ne peut s’empêcher d’y voir un défi lancé à ses collègues pratiquant la philosophie analytique, le courant dominant aux Etats-Unis. Comment la clarté et la rigueur auxquelles ils aspirent sont-elles possibles si notre esprit se laisse embourber dans des « préjugés inconscients» ? Vaste question.

Sans attendre qu’elle soit résolue, de nouvelles pratiques sont mises en place. Analysis et Journal of philsophy, deux revues académiques, ont récemment mis en place des procédures de sélections des articles et de relecture à l’aveugle afin de prévenir tout biais défavorable. L’université Stanford a adopté en 2013 une nouvelle politique éditoriale pour que son encyclopédie de philosophie en ligne cite davantage de femmes. Enfin, certaines militantes ont entrepris de rédiger sur Wikipédia des articles concernant des auteurs féminins pour mieux les faire connaître.

L’APA n’est pas en reste et a établi un code de bonne conduite à l’intention des départements de philosophie, l’association britannique de philosophie s’apprête à en faire autant. Le recrutement est davantage encadré, un programme de mentoring a été mis sur pied, une courtoisie professionnelle est désormais encouragée pour éviter que les relations ne glissent vers une camaraderie aux contours floues et des formations sont offertes pour confronter le sexisme.

Mais déjà apparaissent les effets pervers des bonnes intentions affichées. « Pour répondre à l’impératif d’ouverture, certaines universités me demandent si je suis prête à m’intéresser davantage aux théories féministes. On cherche à faire d’une pierre deux coups, embaucher une femme et diversifier l’offre de cours, explique Deborah Goldgaber. En apparence, l’objectif est atteint, bien que dans les faits une nouvelle forme d’exclusion est créée. Je ne souhaite pas me retrouver confiner au féminisme. »

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