Réinventons le programme Ariane pour rivaliser avec les Américains
Les trois lancements parfaitement réussis du nouveau lanceur américain Falcon 9, développé et exploité par la société SpaceX, fondée en 2002 dans un garage de Californie, posent de nombreuses questions.
C’est en effet la première fois dans l’histoire qu’une société totalement privée réussit à faire voler avec succès et du premier coup un lanceur spatial et qui plus est, avec une approche aux antipodes de ce qui se faisait jusqu’alors.
Ces succès interpellent d’autant plus que SpaceX annonce vouloir dominer ce secteur d’activité, à un moment où l’Europe a commencé, à l’initiative de la France, le développement du futur lanceur Ariane 6, qui a vocation à entrer en service au début de la prochaine décennie et qui aura donc comme concurrents les lanceurs de SpaceX.
DES PRIX PARTICULIÈREMENT ATTRACTIFS
L’Europe devra d’ailleurs se prononcer dans les mois qui viennent sur l’engagement définitif d’Ariane 6, alors que SpaceX vient de faire la démonstration qu’il pouvait occuper le terrain avec des lancements commercialisés à des prix particulièrement attractifs.
Si l’on compare le lanceur de SpaceX à ses concurrents, il en diffère par trois points majeurs. D’abord, sa parfaite adaptation au lancement des charges utiles gouvernementales : ce sont les satellites de la NASA et du département de la défense qui constituent une part importante de son carnet de commandes et encore plus de ses revenus, dans la mesure où le gouvernement américain accepte de payer ses propres lancements plus cher que ce qui est facturé aux clients commerciaux.
Ensuite, sa taille plus réduite et sa facilité de mise en œuvre, qui conduisent à des coûts d’exploitation particulièrement bas et qui de facto le rendent redoutablement compétitif pour le lancement des satellites commerciaux : les deux derniers lancements du Falcon 9 ont permis le retour des Etats-Unis sur ce marché, dont ils étaient absents depuis plusieurs années, eu égard au manque de compétitivité et de disponibilité des lanceurs classiques.
Enfin, sa définition technique et son organisation industrielle qui, dès le début, ont été conçues avec pour objectif de minimiser les coûts de développement et d’exploitation : au lieu d’être un lanceur à la pointe de la technologie, le Falcon 9 utilise des moteurs à la technologie éprouvée, facile à développer et surtout peu coûteuse à industrialiser, et le lanceur est fabriqué par un nombre très limité de sous-traitants, ce qui limite les coûts de production.
LA COURSE À L’ESPACE
Au total, là où les méthodes classiques ont échoué – au cours des dix dernières années, les Etats-Unis ont arrêté plusieurs développements de lanceurs classiques, après y avoir englouti plusieurs milliards de dollars –, le Falcon 9 pourrait bien les ramener en tête de la course à l’espace, alors qu’ils partagent celle-ci avec la Russie et la Chine pour les lancements gouvernementaux et que l’Europe l’occupe pour les lancements commerciaux.
Sans compter que SpaceX a dans ses cartons des évolutions de son lanceur qui, dès cette année, pourrait voler dans une version encore plus puissante qui, à terme, pourrait être réutilisable, abaissant ainsi encore davantage le prix des lancements – ce que n’avait jamais réussi à faire la navette spatiale, pourtant conçue dans cet unique objectif !
Une telle évolution aurait pour l’Europe des conséquences particulièrement lourdes, avec, d’une part, la perte de parts de marché et, d’autre part, la fragilisation de notre modèle d’accès autonome à l’espace qui repose sur le succès commercial de nos lanceurs, compte tenu du nombre relativement limité de satellites gouvernementaux européens à lancer.
Ce sont ces constatations qui ont conduit à définir pour Ariane 6 des spécifications qui s’apparentent à celles du Falcon 9 : parfaite adaptation au lancement des satellites gouvernementaux européens, lancement facilité des satellites commerciaux, conception simplifiée et organisation industrielle resserrée pour diminuer de façon importante les coûts de lancement.
NOUS DEVONS RÉAGIR
Car force est de constater qu’aujourd’hui, les Etats-Unis nous mettent au défi de les concurrencer en montrant la voie avec un système qui met en pratique toutes ces recommandations. Et qu’alors que, pendant des années, nous redoutions la concurrence des pays émergents avec leur main-d’œuvre à bas coût, la concurrence arrive des Etats-Unis et de leur capacité à innover et à se remettre en cause.
Cette situation n’est pas sans rappeler celle qu’a connue au début des années 1970 le monde de l’informatique, bouleversé par l’apparition de nouveaux venus qui partageaient tous un point commun, celui d’être installés dans des garages de Californie. Près de quarante ans plus tard, l’industrie des lanceurs spatiaux, qui, comme celle de l’informatique en 1970, est aujourd’hui considérée comme une industrie de souveraineté, pourrait bien connaître le même bouleversement.
L’Europe a chèrement acquis sa suprématie en matière de lancements spatiaux. Ariane 5 est actuellement le meilleur lanceur au monde, compte tenu de sa fiabilité, conquise lancement après lancement depuis 2003, et il le restera parce que l’Europe a décidé de soutenir son exploitation et ses adaptations à l’évolution du marché.
Pour autant, nous devons réagir au défi que nous lance SpaceX et avancer sans tarder dans le développement d’Ariane 6. Il ne s’agit pas de développer un lanceur Ariane de plus, il s’agit de réinventer le développement d’Ariane en prenant le même virage que celui pris par l’informatique dans les années 1970 et que vient de prendre SpaceX. C’est la leçon que nous donnent les garages de Californie.
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