Redefining the ‘Strong Female Character’

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Redéfinir le «personnage féminin fort»

Dans une scène présentée comme légère et comique dans Captain America, Peggy Carter, le principal personnage féminin du film, saisit un pistolet et tire plusieurs coups de feu en direction de son acolyte et héros éponyme. Heureusement pour ce dernier, il a pu se protéger à temps avec son fameux bouclier. La raison de cette tentative de meurtre? Un accès de jalousie mais, plus encore, une démonstration de la «force» de son caractère.

En novembre dernier, la New York Film Academy a publié une étude sur le sexisme dans l’industrie cinématographique. Parmi les 500 long métrages les plus commerciaux entre 2007 et 2012, les personnages féminins ne représentaient que 31% des rôles parlants, et seuls 11% des films en question contenaient un casting «balancé». Derrière la caméra, la situation s’est empirée pour les femmes : les productrices, scénaristes, monteuses, etc. ne constituaient que 16% des participants aux 250 productions les plus rentables en 2013. Un recul de 1% par rapport à 1998.

La sous-représentation des femmes au cinéma a mené bon nombre de décideurs (mâles) à remédier à ce malaise en développant le «personnage féminin fort», une réponse plutôt maladroite à la figure passive de la «demoiselle en détresse». Si la notion d’égalité n’est pas près de faire son entrée entre les murs des studios majeurs, on va la promouvoir aussi agressivement qu’on le peut dans nos blockbusters. Sauf que les soi-disantes bonnes intentions ont malheureusement desservi la cause des femmes à l’écran plus qu’autre chose. En cours de route, il semble y avoir eu un grave malentendu sémantique.

C’est justement ce que constate l’auteure de fantasy Shana Mlawski, dans un post plein d’esprit et truffé d’amusants memes (comme celui ci-dessus) publié en 2008 sur le site Overthinking It :

«Je pense que le principal problème ici est que les femmes réclamaient «des personnages féminins forts», et les scénaristes masculins ont mal compris. Ils pensaient que les féministes voulaient dire Personnages de [Femmes Fortes]. Mais ce qu’elles voulaient dire c’était [Personnages Forts], Féminins.

«Ainsi, les féministes n’auraient pas dû dire : “Nous voulons plus de personnages féminins forts.” Elles auraient dû dire “Nous voulons des personnages féminins plus faibles.” Pas “faible” dans le sens “demoiselle en détresse.” “Faible” dans le sens “avec des défauts”.

«Les bons personnages, hommes ou femmes, ont des objectifs, et ils ont des défauts. Tout personnage sans défauts est fait en carton. Du carton sexy, soit, mais néanmoins sans profondeur».

Une ligne de pensée que partage la journaliste pigiste Carina Chocano, dans un essai publié en 2011 sur le site du New York Times :

Peut-être que ce que les gens veulent dire quand ils disent «personnages féminins forts», ce sont des personnages féminins qui sont «forts», c’est-à-dire intéressants ou complexes ou bien écrits – «forts» dans le sens qu’ils détiennent une bonne place dans le récit, plutôt que de s’installer de façon décorative en arrière-plan. Mais j’ai le sentiment que ce que la plupart des gens veulent dire ou entendre quand ils disent ou entendent «personnage féminin fort», ce sont des personnages féminins qui sont durs, froids, laconiques, taciturnes et aptes à se renfrogner et à ne pas dire au revoir quand ils raccrochent le téléphone.

Les personnages de ce genre […] renforcent l’idée implicite que, pour qu’un personnage féminin mérite un sentiment d’identification, il devrait vraiment essayer de mettre un frein à ses impulsions répugnantes de petite fille. […]

La «force», dans notre jargon, est l’équivalent du 21e siècle de la «vertu». Et ce que nous considérons désormais comme «vertueux», ou comme un comportement sanctionné culturellement et socialement acceptable, tant chez les femmes que chez les hommes, est l’habileté de rabaisser les qualités qui ont traditionnellement été considérées comme féminines, et de rehausser les qualités qui ont traditionnellement été considérées comme masculines. Les «personnages féminins forts», en d’autres termes, ne sont souvent que des personnages féminins avec leur comportement sexué retiré. Cela me fait penser que le problème n’est pas qu’il n’y a pas suffisamment de personnages féminins «forts» dans les films – c’est qu’il n’y en a pas assez qui sont faibles de manière réaliste.

Pour Sophia McDougall, jeune écrivaine britannique de romans historiques alternatifs, la représentation des femmes à l’écran a connu un changement purement superficiel; les stéréotypes ont peut-être été revitalisés, mais pas dépassés. Elle lance un passionnant cri du coeur dans un long essai publié en août dernier dans le New Statesman, au titre qui ne laisse pas vraiment place à l’imagination : I Hate Strong Female Characters. Elle observe notamment que :

De nos jours, les princesses savent toutes faire du kung fu, et pourtant elles demeurent toujours les mêmes princesses. Elle représentent encore l’intérêt romantique, la seule fille dans une équipe de cinq garçons, et sont toutes à peu près pareilles. Elles s’introduisent à ​​l’écran, frappent quelqu’un pour montrer qu’elles ne se laissent pas faire, lancent quelques one-liners ou embrassent quelqu’un de force parce qu’obtenir le consentement c’est pour les mauviettes, et puis, avec une discrétion digne d’une dame, elles libèrent le chemin du récit.

À la fin de son texte, McDougall se permet de soumettre une liste de souhaits à l’intention des scénaristes et de leurs supérieurs. Une grille que ces derniers feraient bien de considérer avec bonne volonté :

Je veux qu’elle soit libre de s’exprimer

Je veux qu’elle ait des relations émotionnelles significatives avec d’autres femmes

Je veux qu’elle soit faible, parfois

Je veux qu’elle soit forte d’une manière qui n’implique pas la domination physique ou le pouvoir

Je veux qu’elle pleure si elle en a envie

Je veux qu’elle demande de l’aide

Je veux qu’elle soit elle-même

Écrire un personnage féminin fort?

Non.

Pour revenir à mon exemple du début – et il y en a tant d’autres dans le genre – je suis bien conscient que le cinéma relève plus souvent qu’autrement de la fantaisie, surtout lorsqu’on fait face à un produit issu de l’usine Marvel. Mais encore, je me pose la question en toute candeur : les fantasmes de quel public-cible (pour employer un terme cher à l’industrie) espère-t-on combler à travers ce geste violent et absurde de la part de l’héroïne? Aidez-moi SVP, parce que franchement, je ne vois pas.

Ce que je crois cependant est que, le jour où ce type de scène badum tish pénible, mais avec les rôles inversés (un superhéros ultra-musclé qui pourchasse sa copine sexy avec une mitraillette dans les bras), sera accepté sans broncher, on aura réellement atteint l’égalité homme-femme. Par contre, s’agira-t-il d’une manière judicieuse de célébrer l’avènement de l’utopie du 50-50? Permettez-moi d’en douter «fortement»…

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