Un traité Europe Etats-Unis oui, mais pas à n’importe quel prix !
LE POINT DE VUE DE 05/03 | 06:00 | Par Zaki LAÏDI
Depuis juillet 2013, les Etats-Unis et l’Europe sont engagés dans la négociation d’un accord de libre-échange et d’investissement. Ce projet présente une dimension stratégique évidente. Il vise à rapprocher deux grands ensembles qui représentent à eux seuls plus de 45 % du PNB mondial et près d’un tiers des échanges commerciaux. Ce rapprochement obéit à une finalité essentielle : faire des Etats-Unis et de l’Europe le principal centre de définition des standards commerciaux mondiaux face à la montée des émergents et notamment de la Chine. A priori, cette tâche incombe à l’OMC. Mais le mandat de celle-ci ne permet pas aux Etats-Unis et à l’Europe d’imposer de manière satisfaisante des standards élevés dans des domaines extrêmement sensibles comme la propriété intellectuelle, l’accès aux services, les subventions aux entreprises publiques et l’accès aux marchés publics. D’où l’intérêt des deux parties transatlantiques à se rapprocher pour faire face à la compétition croissante des pays émergents. Derrière l’idée du traité transatlantique, il y a le sentiment que ce qui rapproche Américains et Européens est bien plus important que ce qui les sépare, notamment sur le plan réglementaire. On ne peut pas s’inquiéter de la montée de la Chine tout en refusant de se rapprocher des Etats-Unis. Certes, aucun choix n’est sans risque. Mais les non-choix le sont toujours davantage. La décision du gouvernement d’aller de l’avant dans cette négociation est donc pleinement justifiée.
Toutefois, l’importance et la réalité de ce facteur ne saurait nous faire perdre de vue la persistance entre les Etats-Unis et l’Europe de réelles divergences réglementaires, qui tiennent à de nombreux facteurs, dont un rapport très différencié au risque alimentaire par exemple. Mais, au-delà de la question traditionnelle des OGM, on sent monter en Europe, notamment à l’approche des élections, un véritable débat qui porte sur l’introduction ou non d’une clause dite « Etat-investisseur ». De quoi s’agit-il ? Fondamentalement de la mise en place d’un mécanisme juridique permettant de protéger les entreprises contre d’éventuelles spoliations. Or, si la protection des investisseurs est absolument indispensable, il faut légitimement se poser la question de savoir si une clause spécifique mérite d’être introduite. Car ce qui inquiète beaucoup en Europe, et notamment en Allemagne où le débat est sur ce point bien plus avancé qu’en France, c’est de voir des entreprises américaines utiliser ce dispositif pour contester la mise en place de nouvelles politiques publiques en matière de santé ou d’environnement, en prétextant que ces mesures porteraient atteinte à leur espérance de profit. Cette clause peut donc inhiber la mise en place de nouvelles politiques publiques. C’est la raison pour laquelle un Etat comme l’Australie, pourtant très libre-échangiste, a catégoriquement refusé d’introduire une clause de ce type dans le traité bilatéral avec les Etats-Unis. On ne voit donc pas pourquoi l’Europe donnerait aux Etats-Unis ce que même l’Australie se refuse à leur concéder, y compris semble-t-il dans le cadre du TPP (partenariat transpacifique) entre les Etats-Unis et l’Asie. L’argument australien, parfaitement extensible à l’Europe, consiste à mettre en avant la robustesse des systèmes juridiques américain et européen pour arbitrer d’éventuels conflits. Notons par exemple que ni la France ni l’Allemagne ne sont liées aux Etats-Unis par un traité sur l’investissement. Face aux inquiétudes, la Commission vient d’ouvrir une consultation publique sur le sujet. Mais cela ne suffira pas, d’autant que cette même Commission semble avoir accepté une telle clause dans le traité bilatéral avec le Canada. Les Etats européens et la Commission doivent clairement refuser l’inclusion d’un tel mécanisme dans le traité qui risque d’inquiéter les opinions sans offrir des garanties juridiques supplémentaires aux entreprises. Dans la campagne des européennes qui s’ouvre, la question du traité transatlantique sera au coeur du débat.
Zaki Laïdi est directeur de recherche à Sciences po et auteur du livre « Le Reflux de l’Europe », aux Presses de Sciences po.
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