Keystone XL n’est-il qu’accessoire à la puissance énergétique de l’Amérique du Nord ?
Quels seraient donc les effets du projet d’oléoduc Keystone XL sur l’équilibre international d’une Amérique du Nord en tant que puissance énergétique ? Analyse.
11 mar. 2014 par Julien Tourreille
La Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM organise le 14 mars un colloque consacré à l’Amérique du Nord comme puissance énergétique mondiale.
À quelques jours de cet événement, ce billet présente deux enjeux qui constitueront la toile de fond des discussions : d’une part, l’oléoduc Keystone XL ; d’autre part, les facteurs et les effets sur l’équilibre international d’une Amérique du Nord en tant que puissance énergétique.
Un appui net de l’opinion publique américaine à Keystone XL
Le département d’État américain a rendu public, début février, un volumineux rapport évaluant les effets environnementaux du projet d’oléoduc Keystone XL entre le Canada et les États-Unis.
Les conclusions de ce rapport ne soulevaient pas d’objection à la réalisation de ce projet.
Le public américain avait cependant jusqu’au 7 mars pour exposer ses positions sur ce document. Sur les quelque 3 millions de commentaires reçus, les deux tiers s’opposaient à la réalisation de cette infrastructure permettant d’acheminer le pétrole issu des sables bitumineux de l’Alberta vers les raffineries du Texas.
Le président Obama se ralliera-t-il à cette opposition et n’autorisera-t-il pas la construction de Keystone XL ?
Si la grande majorité des commentaires reçus dans l’une des dernières étapes du long processus d’évaluation du projet Keystone XL y sont opposés, ils ne sont pourtant pas représentatifs de l’état de l’opinion publique américaine.
Deux sondages — l’un conduit par le Pew Research Center, en septembre 2013, et l’autre pour le Washington Post et ABC News, en mars 2014 — démontrent en fait que celle-ci est solidement en faveur de l’oléoduc. Dans les deux cas, 65 % des personnes interrogées sont favorables.
Les partisans de Keystone XL ne négligent pas totalement les risques environnementaux. Ils justifient leur appui en mettant de l’avant les retombées économiques anticipées, notamment en termes d’emplois.
Les perspectives en la matière ne sont pour autant pas mirobolantes. L’évaluation du département d’État évoque en effet 1 950 emplois pendant la période de construction (soit deux ans) et seulement une cinquantaine par la suite.
Les personnes favorables à Keystone XL perçoivent un second avantage à la réalisation de cette infrastructure. Elles estiment que l’oléoduc permettra de renforcer la sécurité énergétique des États-Unis en diminuant la dépendance au pétrole provenant d’une région parfois instable et suscitant à l’occasion des difficultés pour les États-Unis et le Moyen-Orient, au profit d’un allié proche et fiable, le Canada.
Les opposants à Keystone XL pointent pour leur part le maintien de la dépendance aux énergies fossiles ainsi que les risques environnementaux, en particulier en matière de changements climatiques et de risques de déversements.
Le principal problème pour l’administration Obama est le profil de ces opposants : en effet, ce sont en majorité des jeunes et des démocrates plus à gauche, deux catégories d’électeurs indispensables aux succès électoraux du Parti démocrate.
La décision que devra prendre le président Obama n’en est que plus délicate, puisqu’il lui faudra satisfaire une majorité non négligeable de l’opinion sans pour autant s’aliéner de précieux électeurs acquis au parti démocrate.
Il pourrait trouver un équilibre en donnant par exemple son accord à la construction de Keystone XL et en renforçant les normes environnementales régissant la production d’électricité à base de charbon.
La puissance énergétique ne fait pas de l’Amérique du Nord une île isolée
Si Keystone XL peut apparaître comme une pièce maîtresse dans l’intégration énergétique nord-américaine, il n’est toutefois qu’un élément secondaire dans une dynamique majeure (re)faisant de l’Amérique du Nord une puissance énergétique de premier plan sur la scène internationale.
Le phénomène clé de cette dynamique est l’explosion, depuis 2008, de la production de gaz et de pétrole de schiste aux États-Unis.
Cette révolution énergétique a deux répercussions majeures.
Premièrement, l’abondante production de gaz naturel a provoqué une baisse importante du prix de cette ressource en Amérique du Nord. Le gaz naturel tend ainsi à se substituer au charbon pour la production d’électricité, contribuant à la stabilisation des émissions de gaz à effet de serre de la part des États-Unis. Le secteur des transports semble par ailleurs de plus en plus s’intéresser au gaz naturel liquéfié comme source de carburant.
De plus, le gaz naturel apparaît tellement abondant en Amérique du Nord que les producteurs et ses partisans cherchent à accélérer le processus fédéral d’autorisation pour la construction de nouveaux terminaux destinés à l’exportation. Il s’agirait ainsi de trouver de nouveaux clients pour le gaz américain, voire, à moyen terme, de contrer l’influence qu’exerce un producteur majeur — la Russie — dans ses relations avec les alliés européens des États-Unis.
Deuxièmement, le renouveau de la production pétrolière aux États-Unis alimente l’optimisme sur l’abondance de la ressource ainsi que les discours sur l’indépendance énergétique de l’Amérique du Nord par rapport aux importations en provenance du Moyen-Orient.
S’il est vrai que la production de pétrole de schiste a permis aux États-Unis de redevenir pour la première fois depuis 60 ans un exportateur net de produits pétroliers, cette aisance pétrolière n’est ni synonyme de sécurité énergétique absolue ni un atout permettant aux décideurs américains de se désengager du Moyen-Orient.
La raison en est fort simple. Contrairement au marché du gaz naturel qui est régional du fait essentiellement des difficultés de transport, celui du pétrole est mondial.
Ainsi, une crise dans une région importante de production comme le Moyen-Orient, ou une menace sur les voies de transport maritimes (par exemple, un blocage du détroit d’Hormuz) ont des répercussions sur le prix du baril et, par conséquent, sur l’économie américaine tout autant qu’internationale.
Si la hausse de la production de pétrole aux États-Unis depuis 2008 a permis d’en stabiliser les prix mondiaux dans une fourchette comprise entre 90 et 120 dollars le baril, il n’en demeure pas moins que l’engagement des États-Unis au Moyen-Orient et la protection qu’ils assurent des voies et des nœuds maritimes restent déterminantes pour la sécurité, la stabilité et la prospérité internationales. L’administration Obama l’a bien compris.
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