Jeudi 13 mars, le Sénat américain a confirmé la nomination de Stanley Fischer, ancien gouverneur de la Banque d’Israël, au poste de vice-président de la Réserve fédérale américaine (banque centrale, Fed).
Les qualités de celui qui a été à la fois professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), numéro deux du Fonds monétaire international (FMI), et qui a compté parmi ses élèves Ben Bernanke (ancien président de la Fed) et Mario Draghi (président de la Banque centrale européenne), ont été vantées à de nombreuses reprises dans les médias.
Moins médiatisée est son expérience réussie à la tête d’une banque centrale ayant connu de sévères problèmes de pertes financières pendant une longue période. Des problèmes auxquels la Fed devra, elle aussi, faire face dans le futur lors de la sortie de son programme de quantitative easing (QE) et qui n’ont reçu que très peu d’attention à l’heure actuelle.
« CONTROVERSES »
Comme de nombreux économistes l’ont souligné, la sortie du QE ne se fera pas sans coûts financiers. La Fed dispose de plusieurs options.
Elle peut choisir de stériliser les liquidités injectées par l’intermédiaire du QE en continuant de payer un taux d’intérêt sur les réserves excédentaires égal au taux d’intérêt directeur. Etant donné que ce taux directeur dépassera très probablement le taux de rendement des bons du Trésor actuellement au bilan de la Fed avant l’échéance de ces derniers (le Blue Chip Forecast anticipe par exemple un taux directeur au-dessus des 3% dès 2017), ces opérations seront de facto financièrement déficitaires pour la Fed.
Elle peut également revendre les actifs à long terme qu’elle a acheté lors du QE. Ce qui, étant donné la hausse des taux d’intérêt, allant généralement de paire avec une baisse des prix des obligations, est également synonyme de pertes.
Cette option est particulièrement envisageable pour les mortgage-backed Securities (MBS), si l’on se fie aux minutes du meeting de la Fed de juin 2011 .
Dans une étude sortie en août 2013, coécrite par Frederic Mishkin, ancien membre du Conseil des gouverneurs de la Fed, les auteurs anticipaient des pertes sur les ventes de MBS seules s’élevant à 35 milliards d’euro en 2018 en retenant un scénario « optimiste » d’arrêt des achats d’actifs en 2014 .
Les auteurs font par ailleurs remarquer que, dans un contexte d’endettement élevé, « une cessation de paiements de la Fed au Trésor pour une période significative pourrait amener les décisions de la Fed sous l’œil plus attentif du public, amenant potentiellement à des controverses qui pourraient menacerl’indépendance de l’institution ».
MANIPULATION COMPTABLE
Y a-t-il lieu de s’inquiéter davantage ? Contrairement à la banque centrale d’Israël, la Fed ne peut pas avoir un compte de capital négatif.
Depuis janvier 2011, en effet, la Fed s’est dotée de nouvelles pratiques comptables, sous lesquelles toute perte sera non pas absorbée par le compte de capital, comme pour toute entreprise, mais sera reportée négativement au passif dans un compte appelé « Interest on Federal Reserve notes due to the U.S. Treasury ». L’idée étant que les profits futurs de l’institution monétaire viendront, dans un premier temps d’abord, diminuer ce poste, avant d’être redistribués au Trésor.
Cette manipulation comptable, rare mais pas seulement propre à la Fed dans l’univers des banques centrales, est particulièrement utile dans le contexte américain dans la mesure où les actionnaires de la Fed sont les banques privées et non l’Etat (précisons que les actions n’apportent pas les mêmes droits que les actions ordinaires sur les entreprises).
En cas de pertes substantielles, cette pratique comptable pourrait égalementpermettre d’éviter de nombreux débats sur un sujet souvent mal compris et peu abordé, qui est celui du capital des banques centrales.
CRÉDIBILITÉ
Des banques centrales peuvent théoriquement avoir un capital faible voire négatif sans que cela ne pose problème à leur politique. C’est le cas pour la Banque d’Israël, dont le capital négatif s’élève à plus de 10% de son actif total, mais historiquement ce n’est pas le cas pour toutes les banques centrales ayant connu cette situation.
En pratique, toutefois, on peut, à juste titre, se demander comment l’opinion et les marchés réagiraient en voyant la Fed arborer effectivement un capital négatif de manière déguisée. Bien que les craintes soient difficiles à justifier d’un point de vue purement théorique dans le cas de la Fed, il serait dur de croire que la crédibilité de celle-ci ne serait nullement mise en doute.
Les problèmes de pertes financières au bilan de la Fed, bien que secondaires, posent des questions à la fois en terme de relations politiques entre la banque centrale et le Trésor et plus largement en terme de crédibilité de l’institution monétaire.
Nul doute que Stanley Fischer, qui a su faire effectivement passer au second plan ces problèmes pour mener avec brio la présidence de la Banque d’Israël, saura être de très bon conseil pour la Fed dans les prochains mois.
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