Sandstorm between Riyadh and Washington

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Le 14 février 1945, à bord du croiseur USS Quincy, ancré sur le Grand Lac Amer, entre le nord et le sud du canal de Suez, Franklin D. Roosevelt et Abdelaziz ben Abderrahmane Al-Saoud, dit Ibn Saoud, concluent un accord historique : les Etats-Unis garantissent la sécurité du royaume des Saoud qui, en contrepartie, s’engage à assurer leur approvisionnement pétrolier. Ce pacte est l’une des clés du Proche-Orient moderne : Riyad devient l’allié privilégié de Washington dans la région – rôle partagé plus tard avec Israël.

Le 28 mars 2014, Barack Obama, en visite en Arabie saoudite pour la première fois depuis 2009, est reçu par le roi Abdallah, l’un des derniers fils d’Ibn Saoud, dans sa résidence de Raoudat Khouraïm, au nord-est de Riyad.

Sourires obligés sur la photo officielle qui les montre installés autour d’une table basse d’où émerge une énorme coupelle de friandises ; tonalité rassurante du communiqué de la Maison Blanche qui réaffirme une relation étroite née soixante-dix ans plus tôt sur le pont du Quincy : tout est trompeur. La vérité est différente.

Premier producteur mondial de pétrole, la « Maison des Saoud » est inquiète. Elle doute de son protecteur américain. Elle assume le leadership du camp sunnite, la branche majoritaire de l’islam, dans la guerre de religion qui l’oppose aux minoritaires chiites, dont l’Iran est la tête de file. Mais elle craint que la négociation en cours sur le nucléaire iranien ne rapproche Téhéran de Washington. Elle redoute d’autant plus cette évolution que les Etats-Unis, avec l’exploitation de leur gaz de schiste, sont de moins en moins dépendants du pétrole saoudien.

Au bout de cette évolution, il y a, pour l’Arabie saoudite, la peur de perdre son statut d’allié privilégié de Washington dans le Golfe.

Obama a voulu apaiser Abdallah. L’étrange et vieille alliance entre la plus grande démocratie occidentale et une monarchie théocratique à tendance dictatoriale tient toujours, certes. Les quelque 35 000 soldats américains déployés dans les émirats voisins ne vont pas plier bagage. Les Etats-Unis vont continuer à superbement ignorer la situation des droits de l’homme en Arabe saoudite.

Entre le président et le monarque, la conversation a duré deux heures. Au-delà, Abdallah – 89 ou 91 ans, selon les sources – fatigue. Sa santé est moyenne. Il est en surpoids (trop de sucreries ?), il respire avec un tube à oxygène dans le nez et ne marche qu’avec un déambulateur. Fatigué, il doit penser à une difficile succession intérieure au moment où tout chavire à l’extérieur. Demi-frère d’Abdallah, Salman, ministre de la défense, ex-gouverneur de Riyad, est le prince héritier. Mais il aurait 78 ans et on le dit malade. Prudent, le roi a déjà désigné celui qui sera l’héritier de Salman, en la personne du prince Muqrin, le plus jeune des demi-frères du monarque. Mais Muqrin étant âgé de 70 ans, la transition approche : le temps des petits-fils d’Ibn Saoud, une nouvelle génération, un saut vers l’inconnu ?

TÉHÉRAN, LA « TÊTE DU SERPENT »

Sur le pont du Quincy, Roosevelt, charmeur, attentif à son hôte, avait séduit Ibn Saoud. Entre « grands politiques », le patricien de la Côte est des Etats-Unis et le chef de tribu bédouine s’appréciaient. Entre Abdallah et Obama, en revanche, rien de tel. Le président fait de la diplomatie. Le souverain saoudien est en guerre. Il juge que la prépondérance régionale de l’Arabie saoudite, gardienne des lieux saints de l’islam, est menacée.

Le principal danger vient de l’Iran, la « tête du serpent », dit-on à Riyad. Ce n’est pas tant le nucléaire iranien qui inquiète les Saoud, mais plutôt la percée de l’influence de Téhéran au Proche-Orient : à Damas, bien sûr, avec l’encadrement de plus en plus étroit du régime par les Iraniens ; au Liban, avec un Hezbollah aux ordres des ayatollahs ; à Bagdad, avec un régime dominé par les chiites.

Pour Abdallah, qui veut la chute de Bachar Al-Assad, l’attentisme d’Obama en Syrie et l’ouverture de négociations Washington-Téhéran sont autant de signes inquiétants. Il observe un dangereux reflux général du leadership des Etats-Unis dans le monde.

Tout ne va pas pour le mieux dans la famille sunnite non plus. Les « printemps arabes » ont fait émerger les Frères musulmans comme une force capable de défier la forme de gouvernement théocratique pratiquée à Riyad. Cette notion d’un islamisme électoral – le programme de la confrérie – est anathème chez les Saoud. Conséquences ? Le roi soutient le régime militaire au pouvoir en Egypte et il s’est fâché avec le Qatar, accusé d’être le refuge et le suppôt des Frères.

L’Arabie paye quelques-unes de ses contradictions. Sous la pression d’un establishment religieux fondamentaliste, avec lequel la famille Saoud doit composer, Riyad n’a jamais hésité à jouer la carte djihadiste en politique étrangère. Le royaume a disséminé partout le poison de son islam ultraréactionnaire. Au nom de la lutte contre l’avancée chiite, il a aidé des groupes proches d’Al-Qaida. Il redoute aujourd’hui que les centaines de jeunes Saoudiens enrôlés dans ces groupes ne soient une force de déstablisation à leur retour au pays. Dans un revirement spectaculaire, il les menace maintenant de lourdes peines de prison à leur retour.

Explication de Stéphane Lacroix, politologue, spécialiste de la région : devant un Proche-Orient qui change trop vite, qu’ils ne contrôlent plus comme avant, « les Saoudiens se sentent menacés ». Et la « Maison des Saoud » n’a plus tout à fait confiance dans la Maison Blanche.

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